"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille

« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.


« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP

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lundi 19 septembre 2011

"Cogitamus" de Bruno Latour (recension)


Dans sa derniére livraison, "Cogitamus, six letttres sur les humanités scientifiques", Bruno Latour nous livre une de ses  tentatives successives de "vulgarisation" de sa pensée (comme dans "la science en action", "petites leçons de sociologie des sciences", etc) Mais si les autres textes ouvraient le champ des possibles vers de nouvelles conception de la sociologie des sciences (et des techniques) celle ci semble opérer un replis sur "l'analyse de controverses" qu'il prolonge par la cartographie de ces mêmes controverses.



On le sait, il y a pour l'auteur la "science en train de se faire", et la science faite, la science "dépliée" (problématique et problématisée) et la science faite pour laquelle la "Nature" est une "essence" de nature fortement idéaliste. La vérité de la science se situerait du coté de la science "dépliée", de ses questionnements et  de ses querelles. Les débats fortement controversé feraient apparaitre selon l'auteur qu'il n'y a pas de science "pure" ou de "science appliquée", mais des "imbroglio de sciences" ou sont mélangés science à proprement parler, mais aussi politique, sociologie, pouvoirs, institutions, instruments, tout ceci  saisi dans un "noeud  gordien" (qu'il conviendrait, justement "de ne pas trancher.)

Ces propos ne sont pas nouveau sous la plume de Bruno Latour, mais ce qui étonne dans un premier temps (et donc interroge, pour reprendre une de ses méthodes privilégiées) c'est la forme "classique" qu'il imprime à cet ouvrage. Présenté sous forme de "lettres", celui ci utilise en effet un ensemble de moyens rhétoriques pour s'inscrire sous la forme "classique". Le premier procédé c'est évidemment la forme "diariste" dont on a pu remarquer depuis une certaine querelle instillée par notre hyperprésident (qui s'étonnait de l'usage des "lettres de madame de Sévignée" dans la selection des fonctionnaires territorial) l'usage "subversif" qui peut en être fait. Le second entraine la réévaluation des  "humanités" dans son sens "classique" mais étendu à une réflexion sur la science (le nouvel enseignement de Bruno Latour à Science Po paris étant intitulé "humanités scientifiques") Les lettres ainsi écrites s'adressent à une étudiante allemande, étudiant à paris via sans doute le programme d'échange européen "Erasmus"... (encore un humaniste, ce qui renvoit aux humanités) Enfin, le "personnage" principal de l'ouvrage semble bien être Descartes et son "Cogito ergo sum" auquel Latour opose son "nous pensons" (Cogitarum "nous pensons", oposé à la version individuelle et analytique de Descartes)

Mais tout en donnant des indices de classissisme, la matiére enseignée est bien ces "sciences studies" qui sont en France combattues et décriée en fonction d'un positivisme obsolète. Bien que l'ouvrage regorge d'exemples "nationaux", c'est bien les références anglo saxonnes qui sont alors convoquées et qui donnent aux exemples pratiques leur saveur... Il n'est besoin, pour s'en convaincre, que de lire l'abondande bibliographie en fin du livre.

On peut alors interpréter ce recours stylistique au "classique" une tactique faite pour échapper à la "science war" qui prend Latour pour cible a partir d'un fort médiocre ouvrage de Sokal et Bricmond "impostures intelectuelles". Mais aussi rassurer les "décideurs", et se mettre dans une position stratégique...

Les humanités scientifiques

Un des modèles, un des inspirateurs de Bruno Latour est, on le sait, Michel Serres. Celui ci, dans son "passage du nord ouest" livre une définition canonique de ce que sont les fameuses "humanités scientifiques" :« Deux cultures se juxtaposent, deux groupes, deux collectivités, deux familles de langues. Ceux qui furent formés aux sciences dès leur enfance ont coutume d’exclure de leur pensée, de leur vie, de leurs actions communes, ce qui peut ressembler à l’histoire et aux arts, aux œuvres de langue, aux œuvres de temps. Instruits incultes, ils sont formés à oublier les hommes, leurs rapports, leurs douleurs, la mortalité. Ceux qui furent formés aux lettres dès leur enfance sont jetés dans ce qu’on est convenu de nommer les sciences humaines, où ils perdent à jamais le monde : œuvres sans arbre ni mer, sans nuage ni terre, sauf dans les rêves ou dans les dictionnaires. Cultivés ignorants, ils se consacrent aux chamailles sans objet, ils n’ont jamais connu que des enjeux, des fétiches ou des marchandises. » Et il tente de rassembler ces deux humanités sous le même chapiteau, qui constitue justement le projet final des "humanités scientifiques".« Je crains que ces deux groupes ne se livrent combat que pour des possessions depuis longtemps raflées par un troisième, parasite, ignorant et inculte à la fois, qui les ordonne et qui les administre, qui jouit de leur division et qui la nourrit » Pour rassembler ces deux groupes, l'épreuve privilégiée qui permet de rassembler ces deux brins épars des "humanités" classique, c'est l'analyse de controverse. En analysant les polémiques mettant en bout des "morceaux de science", des bouts de politiques, des humeurs, des institutions, cela permet de rendre le réseau de leur relations plus visible (B Latour donne l'exemple de l'explosion de la navette "Challenger" comme exemple canonique du passage à un système technique "simple", à un systéme faisant ressortir les alliances, les stratégies, les mélanges....)

Contre Descartes

A l'inverse de Paul Feyerabend, auteur d'un "contre la méthode", ce n'est pas le coté analytique et rationaliste de Descarte que Bruno Latour prétend contester, mais son célébre "Cogito Ergo Sum" ("je pense, donc je suis") Pour Latour, on ne pense jamais seul, "hors sol"... Il ne se situe pas non plus dans la mouvance des "savoirs situés" chers à Donna Haraway (qui mériterait, le concept et son auteur, un billet à lui tout seul) mais dans une conception chorale des imbroglios de science, de culture, de politique et de rhétorique... Cette conception "orchestrale" de la science correspond de plus en plus à l'activité réelle du chercheur, qui est de moins en moins un esprit seul dans son laboratoire, révolutionnant le savoir avec des expériences presques clandestines (pour autant que cette description ne soit pas en réalité une réécriture de fiction), mais dans un processus de plus en plus complexe de références et d'échanges, de citations réciproques et de dispositifs techniques lourds industrialisés (un accelérateur de particule ne ressemble t il pas de plus en plus à une usine ?)

Philosophie des sciences : les cosmos

Une autre notion disputée dans cet ouvrage comme dans l'oeuvre de Bruno Latour est celle de la négation de la "révolution scientifique" comme récit hagiographique trompeur, la sainteté de la Science étant destinée à remplacer les vieilles doctrines religieuses (c'était, on se le rappelle, le projet politique d'Auguste Comte,  celui de remplacer le christianisme par la science positive) Cette notion est bordée par la notion de "cosmos" auquel se serait substituée la notion d'univers : grâce à la "révolution scientifique et technique", le cosmos borné des ancêtres religieux, confondant allègrement les opinions et les faits serait remplacé par un "univers" sans véritable limite. Cela ferait des opinons et des religions un reste désormais sans objet : illusion dangereuse, nous averti l'auteur ! D'autant que la réalité contemporaine utilise plutot la notion de "multivers", mis en exergue par Hugh Everett. Et que la multiplicité des mondes ainsi recréée fait un retour paradoxal à l'antique cosmos par une de ces ruses dont l'histoire est parait il friande...


Cartographie des controverses : du concept aux solutions techniques

Mais l'ouvrage n'est absoluement pas dénuée de visée pratique. La science et les techniques sont aujourd'hui menacées, contestées, discutées et disputées. Les OGM ne sont ils bon qu'a l'enrichissement des firmes semancières et à la vanité de quelques sommitées ayant remplacé le labo par le studio de télévision ? Les nano technologies ne sont elles pas un péril pour la liberté individuelle et pour la santé publique ? Enfin, "the last but not least", le réchauffement climatique n'est il pas l'exemple d'une querelle scientifique et politique impossible ? Face à la montée des contestations, Bruno Latour lui même ne cache pas sa perplexité. Et il propose de prolonger la classique "analyse de controverse" (qu'il pratique depuis plus de 20 ans) par une "cartographie des controverses" qui permet à partir d'éléments nouveaux (outils maintenant disponible sur Internet) de décrire finement tous les développements, tous les détours, toutes les compositions d'un probléme "scientifique, technique, politique, humain". Partant  du constat d'une crise d'autorité du modéle qui confie  à des "Experts" la mainmise  sur  ces problémes complexes , il entend  proposer des outils simples et efficaces  pour  dérouler l'écheveau  complexe des causes et des effets, des intérêts et des passions.

Mais ces outils ne semblent pas non plus d'une efficacité prouvée. Certes, il permettent de mieux comprendre les différents tenants d'un problème, mais non de pouvoir "trancher le noeud gordien". Puisqu'il faut bien qu'à un moment ou à un autre, le lien soit tranché....

Source : Marc TERTRE/MEDIAPART

mardi 19 avril 2011

DE LA MEDIATION ENTRE SCIENCES ET SOCIETES

Depuis la Révolution française, la séparation entre la science, représentatrice de la nature et de son étude, et la société, représentatrice de l'homme et de sa culture, s'est accrue, en même temps que la notion de modernité prend corps et importance ; un lien établi par de nombreux chercheurs dont le sociologue français Bruno Latour, dans son célèbre ouvrage "Nous n'avons jamais été modernes". Il ne pouvait pas prévoir alors la crise financière, et sa remise en cause du système économique. Est-ce une remise en cause de notre modernité ?

Pour résumer brièvement les théories de Bruno Latour, nous tenterons de reprendre les arguments de son livre, sans volonté aucune de les réduire ou de les détourner, mais en essayant de s'en inspirer aussi fidèlement que possible. Bruno Latour définit la modernité comme la séparation progressive des notions et science et de nature d'une part, de société et de culture d'autre part, et fonde l'hypothèse que la modernité s'est imposée au XXe siècle (déjà avant) avec son officialisation dans la Constitution Moderne, qui explicitait cette séparation. Pourtant, il existerait deux phénomènes plus subversifs mais tout autant importants qui expliquerait cette modernité : l'hybridation et la purification.

Toujours selon Latour, l'hybridation est le croisement d'une partie des deux branches principales que sont la science et la société. Il s'agit d'une initiative pouvant se revendiquer tant d'un bout de sciences que d'un bout de société. Vous en connaissez beacoup ? Il n'y a que ça ! Rien n'est jamais vraiment tout l'un ou tout l'autre, n'est-ce pas ? Peut-on dire que le téléphone portable n'est que scientifique ? N'est-ce pas un mouvement de société ? Peut-on dire que la politique n'est pas une technique, une science qui pourrait s'étudier en dehors de tout contexte culturel ? Que représente alors l'Ecole des Sciences Politiques de Paris ? L'hybridation serait partout et aurait toujours existé, sans être vraiment jamais reconnu par la Constitution moderne.

La purification, au contraire, serait le travail fait pour catégoriser ces nouveaux hybrides plus vers l'une ou l'autre des branches, pour lui trouver un nouveau nom de classification, et la ranger toujours mieux. C'est le travail de critique, qui joue le jeu du discernement des racines, de la dissection des origines, pour mieux nommer, classer, et expliciter ce qui ne le sera jamais vraiment (explicité, dans son entier). Sans critique, pas de compréhension des mutations de la société, pas d'adaptation de cette dernière à ses propres modifications, pas d'évolution possible.

Le problème de la modernité, aujourd'hui, selon Latour, est que le travail des hybrides a pris trop d'importance, et qu'il ne peut plus être mis sous silence par la Constitution moderne. La distinction, entre science et société, perdrait trop de sa consistence pour devenir un amas de liens informels, d'expérimentations, de créations. Ne sentez-vous donc pas ce pessimisme ambiant de la société occidentale ? Ce pessimisme fut dénommé, il y a de ça déjà quelques années, le postmodernisme. Un sentiment que la modernité n'avait plus de promesses à tenir, et que le monde courait à sa perte (ou presque). Ce que suggère Bruno Latour dans ce passionnant ouvrage, c'est de faire éclater au grand jour l'existence des hybrides et de reconstruire notre constitution autour d'eux. Avec la crise financière et sa remise en cause du système économique, cet essai n'entre-t-il pas en résonance avec les attentes des générations d'aujourd'hui face à l'entreprise et au sens à donner au travail ?