"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille

« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.


« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP

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lundi 9 avril 2012

Le rire post-moderne

Durant la période soviétique, le centralisme bureaucratique faisait que la section "Rire & Désamorçages" était sous les auspices du KGB: "la grande fabrique de blagues" alimentait ainsi la respiration du système soviétique. Le rire post-moderne participe de la même logique, mais avec les moyens du marché.
Le rire est une soupape mentale pour le système, un défouloir d'une énergie humaine ainsi canalisée, et provoquant la paralysie de l'action: le cynisme de "celui qui sait", le pas-dupe, se vautre dans le miroir des vanités, le marais de sa soumission.
Le rire fait partie de l'arsenal culturel de la guerre psychologique par la démobilisation morale, faisant ainsi la pédagogie de la soumission au système. Cette intelligence subversive fixe les rebellions de synthèse, l'ersatz de la contestation, dans les niches qu'elle contrôle. Le pouvoir de la domination donne le change...à partir de ce qu'il génère ou adoube. Rebellez-vous si vous le voulez, mais surtout maintenez le sentiment de "oui, mais à-quoi-bon.." qui signe le règne de la séparation et la mort de l'esprit. 
ALMAKI

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source : agoravox.tv


Dans cet extrait de "Avant Premières" d’Elisabeth Tchoungui avec Claude Askolovitch, François L’Yvonnet qui publie "homo-comicus ou l’intégrisme de la rigolade" y développe ses thèses face à l’humoriste Stéphane Guillon qui se prétend être un subversif, un opposant au pouvoir alors qu’il écrit des chroniques chez Libération qui appartient à la famille Rothschild. On ne peut que se délecter de ce travail de destruction massive que fait le philosophe auquel l’amuseur ne peut répondre que par la dérision :
 « Les humoristes se prétendent être les défenseurs de la démocratie moderne, que s’ils n’étaient pas là pour critiquer les politiques, les politiques seraient à l’ abri de la critique (…).
En réalité ils font parti du système, ils sont dans le pouvoir. Ils ne s’en prennent pas aux puissants, ils s’en prennent à des ministres qui ne sont pas les puissants, les puissants sont les financiers, les banquiers, ceux qui vous paient (...).
 Ce sont des fonctionnaires du rire parfaitement installés dans un système mais leur caractère subversif et radical est inexistant. Ils développent une critique intégrée, aujourd’hui la façon d’acquiescer au système est de produire un semblant de critique (...). La critique ne déstabilise pas le système elle fait écho la manière dont le système se réfléchit ».
- Stéphane Guillon visiblement déstabilisé répond : « nous sommes les nouveaux philosophes ». Les attaques de son contradicteur seraient donc liées à la jalousie…
 Sur la critique des puissants, le salarié des Rothschild dit : « J’ai fait une chronique sur Bachar el-Assad ». Effectivement tout le monde pourra deviner que pour critiquer celui qui est décrit dans tous les médias comme un potentat qui massacre son peuple, Guillon a dû prendre son courage à deux mains...
 

Guillon est l’archétype de l’antisystème piloté par le système, du subversif dans la norme.

mardi 25 octobre 2011

Citus, altius, fortius - Federico Corriente y Jorge Montero

EL LIBRO NEGRO DEL DEPORTE 

Desde la transformación de las fiestas y juegos populares en deportes, pasando por las distintas nociones de cultura física que se han sucedido desde la Antigüedad hasta llegar a nuestros días, este ensayo analiza el proceso de difusión internacional del deporte y su evolución en el seno de la sociedad moderna, prestando especial atención al papel de los deportes en la configuración del liberalismo decimonónico, el colonialismo y el imperialismo, y haciendo especial hincapié en el destacado lugar que ocupan en el discurso ideológico totalitario. 

El deporte no solo es una válvula de escape y un mecanismo de control social sino también una ideología de la competición, de la selección biogenética, del éxito social y de la participación virtual. Lejos de limitarse a reproducir en formato espectáculo las principales características de la organización industrial moderna (reglamentación, especialización, competitividad y maximización del rendimiento), cumple además una misión ideológica de trascendencia universal: encauzar y contener las tensiones sociales engendradas por la modernidad capitalista. 

Este libro es un trabajo crítico, riguroso, muy bien documentado y de lectura ágil, que aborda la relación entre deporte, democracia y totalitarismo desde una perspectiva completamente inédita tanto dentro como más allá de nuestras fronteras. 

* * * 
[…] El deporte ha dejado de ser un espejo en el que se refleja la sociedad contemporánea para convertirse en uno de sus principales ejes vertebradores, hasta el punto de que podríamos decir que ya no es la sociedad la que constituye al deporte, sino este el que constituye, en no poca medida, a la sociedad. El deporte es la teoría general de este mundo, su lógica popular, su entusiasmo, su complemento trivial, su léxico general de consuelo y justificación: es el espíritu de un mundo sin espíritu. […] 

* * * 
 Federico Corriente (El Cairo, 1965) es traductor. Ha traducido entre otros a Guy Debord, Alèssi dell’Umbria, Lewis Mumford, William Morris, Henry James, Oscar McLennan o Irvine Welsh. Jorge Montero (Teruel, 1961) ha colaborado en la publicación de diversos artículos y folletos contra el militarismo y fue uno de los editores de la revista Stop Control. 

Ambos han participado desde los años ochenta en diferentes proyectos de crítica social, huyendo siempre del aire viciado y enrarecido de la militancia política. 

Casi desde sus inicios forman parte de la columna vertebral de Pepitas de calabaza. 

Este, su primer libro escrito en coautoría, es un texto, más que brillante, deslumbrante.

dimanche 2 octobre 2011

Les “Rencontres i” : l’autre façon de nous manipuler le cerveau

A l’occasion de l’édition 2011 des “Rencontres i”, biennale Arts-Sciences de l’agglomération grenobloise, voici la présentation des événements, spectacles et rencontres (ci-dessous).


 

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Les “Rencontres i” : l’autre façon de nous manipuler le cerveau

Expérience : de ces deux groupes de mots, lequel vous séduit ? Répondez spontanément.

1)    exploration sensible – écorce du vent – chemin d’eau – aventure scientifique – jardin mythique – instrument à improviser – figure du rebelle – questionnement onirique – apéro mathématiques – résistance – arbres à souhaits – splendeur lumineuse – appétit de curiosité – ponts entre les mondes – promenade ludique – sciences à roulettes ! – graines de rencontres – imaginons ensemble.

2)    phtalates – plomb – mercure – pesticides – métaux lourds – neurotoxiques – cocktail chimique – nanoparticules – pollution – contamination – Parkinson – secret industriel – obésité – TOC – Alzheimer – épidémie silencieuse – électrodes – implant cérébral – manipulation du comportement – contrôle du cerveau – psychochirurgie – cobayes – compétition mondiale – homme-machine – possession technologique – post-humanité – empreinte cérébrale – société de contrainte.

Vous avez choisi ? Formidable. Ces deux listes décrivent la même réalité : l’activité de la technopole en cet automne 2011. Les nouveautés sur le front des techno-sciences. Tandis que s’achève la construction des bâtiments de Clinatec, la « clinique du cerveau » imaginée par le patron du CEA-Minatec, Jean Therme, et le neurochirurgien Alim-Louis Benabid, s’ouvre l’édition 2011 des « Rencontres i » conçues par le directeur de l’Hexagone, Scène nationale de Meylan – Antoine Conjard.

La première liste de mots est tirée de la plaquette de promotion de ces « rencontres entre arts et sciences » destinées à ouvrir « les portes de l’imagination ». La seconde vient de notre enquête sur les activités de Clinatec, le dernier fleuron de la Recherche & Développement grenobloise, et de ses promoteurs.

On sait depuis l’aveu de Jean Therme en 2006 que les technarques ont appelé à la rescousse des historiens, philosophes, artistes et autres spécialistes en sciences humaines pour « définir comment projeter les nanotechnologies dans l’imaginaire du grand public. »[1]   Spontanément ou après réflexion, le « grand public » pressent du louche derrière les vagues incessantes de promesses technologiques. Il sait, le « grand public », qu’on n’arrête pas le progrès, et ne s’en réjouit guère. À vrai dire, plus le progrès va, plus le moral baisse, singulièrement en ces temps d’accélération technologique.

Edward Bernays, l’inventeur des public relations, expliquait dès 1928 : « La propagande modifie les images mentales que nous avons du monde (…) Elle prépare l’opinion à accueillir les nouvelles idées et inventions scientifiques en s’en faisant inlassablement l’interprète. Elle habitue le grand public au changement et au progrès. »[2]   Il faut forcer l’enthousiasme des cobayes ; façonner leur imaginaire pour l’accorder au monde-laboratoire. Il faut, disent les communicants, leur raconter une histoire. Faire ludique et divertissant. C’est l’objet des « Rencontres i » - i pour imaginaire –, de leurs spectacles « originaux », propositions « audacieuses » et rendez-vous « excitants ». Les épithètes sont livrées, moyennant finances, par le logiciel publi-rédactionnel du Petit Bulletin, prospectus promotionnel hebdomadaire de la cuvette.

Les techno-maîtres remercient cette année la compagnie Ici-Même, prestataire en exploration-sensible-des-territoires-humains, le jazzman Bernard Lubat, ennemi des multinationales et partenaire du Commissariat à l’énergie atomique, la compagnie KomplexKapharnaüM, fournisseur d’une gamme complète de « formes de résistance » agréées par Minatec, ainsi que les écrivains, plasticiens, musiciens, danseurs, jongleurs, pour leur collaboration tarifée - en plus on mangera bio après les spectacles.

Cette avalanche d’images, de sons, d’effets spéciaux, de parcours thématiques, de brainstorming, n’a, chacun le sait mais le tait, qu’un objectif : nous accoutumer à notre incarcération dans le monde-machine. Ou si l’on veut, rendre acceptable, désirable, la société de contrainte en germe dans les laboratoires. Les « Rencontres i » : l’autre façon de nous manipuler le cerveau.

Quant à nous qui ne sommes pas des Artistes, incapables que nous sommes de remplir les dossiers de subvention[3] , nous avons une autre histoire à vous conter. Celle, véritable, d’une innovation technologique qui une fois de plus va révolutionner nos vies.

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mardi 27 septembre 2011

La marchandise cette inconnue : Résumé du chapitre 2 de « Les Aventures de la marchandise » d'Anselm Jappe

La double nature de la marchandise

 

La marchandise n'est pas une donnée naturelle contrairement à ce que pensent ceux qui s'affrontent uniquement sur le terrain de sa répartition. Malgré ce qu'en disent ceux qui se réclament traditionnellement de Marx, celui-ci avait fondé son oeuvre sur une analyse critique de cette fausse évidence. Eclairer et prolonger cette critique est le travail nécessaire - à la fois indispensable et allant de soi - de notre époque.

 

Marx décrit, avec la marchandise, le germe conceptuel de la société bourgeoise, le principe logique qui, en déployant sa structure interne contradictoire, en produit tous les phénomènes. Il faut donc s'attacher à saisir le propos fondamental exposant cette contradiction.

 

La marchandise est un bien disposant d'une propriété particulière puisque sa valeur d'usage incommensurable en tant que bien est complétée d'une valeur d'échange destinée à la comparer à toutes les autres marchandises sous un même rapport. La valeur d'échange est l'expression phénoménale d'une substance commune à toutes les marchandises.

 

Cette substance est le travail qui les a créées, vu sous l'angle indifférencié et uniquement quantitatif de la durée moyenne que l'on doit y consacrer globalement dans la société. La valeur – à ne pas confondre avec valeur d'échange – est la quantité de ce travail abstrait. Le travail producteur de marchandises a de fait aussi ce double aspect d'être concret en tant que tâche particulière accomplie dans un contexte donné, et abstrait en tant que temps de travail humain socialement dépensé.

 

Cette abstraction qu'est la valeur n'a pas d'existence en dehors des rapports entretenus dans une société où la marchandise est la forme dominante des échanges. Pour se manifester, la valeur nécessite le contexte d'un rapport d'échanges entre marchandises. Dans ce rapport asymétrique mais renversable, la valeur de l'une, qui exprime leur substance commune, va être exprimée par la valeur d'usage de l'autre. Mais l'échange entre marchandises est la généralité, aussi la valeur d'une marchandise s'exprime dans n'importe quelle valeur d'usage1  . Toutes les marchandises trouvent donc leur équivalent dans la forme simple et unitaire d'une marchandise donnée qui est immédiatement équivalent général. C'est l'argent qui va jouer ce rôle. La marchandise explique l'argent et non le contraire.

 

La conséquence fondamentale de cette analyse est le caractère fétiche de la marchandise. L'activité sociale qu'est le travail productif n'est plus perceptible aux travailleurs que sous l'aspect objectivé de la forme marchande. Ils ne sont de plus pas conscients d'être les agents de cette objectivation par la façon quasi exclusive qu'ils ont de produire et d'échanger des biens sous forme de marchandises. Ils tirent donc du mouvement apparent des choses la conviction de lois "naturelles".

   

dimanche 11 septembre 2011

Captifs au bureau



Desserrer les contraintes économiques liées au travail, essayer de le faire collectivement en leur substituant d’autres interactions, d’autres rapports entre les gens au quotidien. Se libérer du travail en cherchant d’autres façons de subvenir à ses besoins, voire reconsidérer ces besoins en chemin, approfondir des solidarités en puisant ses forces sur ce temps libéré, voilà en somme l’idée générale.
 
Une idée simple, mais qui se heurte à l’ambiguïté des situations quotidiennes. Au doute qui subsiste dans l’isolement, et malgré l’obstination à penser le monde à rebours de ce qu’il est officiellement, à faire œuvre de volonté plutôt que se laisser traverser par lui. Il est en effet plus simple de vivre couché que debout, c’est-à-dire dans notre société capitaliste aspirer au travail, et si possible un travail intéressant, plutôt que de refuser les gratifications qui vont avec le travail, du moins quand votre parcours s’obstine à faire de vous un « employable »… comme c’est mon cas.
 
Dans une telle position je reste étranger aussi bien aux peines du chômeur involontaire, qu’à l’insatisfaction du travailleur en quête de reconnaissance, ou d’évolution de carrière. Rat avec les oiseaux, oiseau avec les rats, mon isolement me protège, mais aussi m’expose à une vague angoisse d’anomie qui peut survenir chaque fois que l’ambiance au travail est par trop conviviale, et qu’il m’apparaît que certains croient plus que ce j’imaginais à l’utilité de ce qu’ils font, que je reste seul avec mes convictions qui ne m’aident plus vraiment à m’orienter, à savoir ce que je dois faire. Malgré la clarté que l’on peut donner à certaines explications générales, il me semble alors impossible d’être certain de ce qui se passe vraiment dans la tête des gens qui travaillent, à quel point ils aiment vraiment ce qu’ils font. Et c’est devenu aussi finalement ma propre situation : ne plus savoir ce qu’on pense vraiment, à force d’efforts pour se rendre conforme aux situations.
 
D’un côté, je suis acculé à reconnaître ma différence : là où il s’agit pour moi de compromis à faire, pour d’autres il s’agit d’abord de se sentir à l’aise dans le monde qui les entoure en s’y adaptant. D’un autre côté, il y a aussi quelque chance pour que cette confusion sur mes propres sentiments ne me soit pas propre, mais constitue un fond commun qu’il nous faut oser exprimer, afin d’en sortir, de retrouver une joie de vivre, une disponibilité au monde. Car il m’est apparu finalement que cette tristesse à aller au travail avait de moins en moins de justification, qu’il était de moins en moins possible d’y déployer mes propres activités, à l’abri dans les angles morts des comptes-rendus d’activité falsifiés. Il m’est apparu aussi qu’au fur et à mesure que mon fils grandissait, sa spontanéité et sa curiosité envers le monde finira bientôt par me questionner et me laisser sans réponse sur ce que je fais vraiment. Gagner de l’argent ? Oui, mais pas seulement. Jusqu’à quel point y suis-je obligé ? Car à part de l’argent, je ramène aussi à la maison un silence, une monumentale fatigue, une gêne, un pessimisme (même si contenu), peut-être aussi une forme de malhonnêteté et de mensonge qui peut avoir ses propres effets nocifs sur un enfant. J’aurais beau jeu d’incriminer l’économie, si je ne suis plus en mesure d’y résister, même partiellement (et peu importe avec quelle efficacité), alors je reste au milieu du gué, et ce n’est plus seulement moi qui suis concerné par mon indécision, mais mes proches.
 
La vie quotidienne avec les collègues
 
L’« ambiance » a beau être « bonne » (comme on dit, sans jamais préciser ce que c’est qu’une bonne ambiance) et la compagnie des autres agréables, parfois même enjouée, les années ont passé et certaines choses demeurent inchangées, me gênent, me blesse. Tandis que je m’efforce de passer outre, les même constats d’accablement ressurgissent toujours, et même parmi les personnes que j’apprécie vraiment. En premier lieu, la base des conversations entre collègues, qui sont les jugements sur autrui, finit toujours par adopter l’unique critère de la compétence des personnes. On peut tout passer à quelqu’un du moment qu’il « assure », qu’il soit compétent dans son travail, qu’il soit efficace, sans quoi il finira toujours par être jugé négativement, parce qu’il devient une gêne pour les autres. Et je constate cela sans ressentiment aucun, n’ayant jamais eu ce problème de ne pas arriver à exécuter le travail que l’on attendait de moi, et le seul reproche que l’on ne m’aura jamais fait c’est celui ne pas paraître « motivé », c’est-à-dire finalement ne pas assez bien jouer la comédie que l’on joue tous, de toute façon, au travail. Et c’est là la deuxième chose qui demeure insupportable, après toutes ces années passées à travailler, c’est cette façon commune de prendre sur soi le plus souvent, et quand ça va mal et que l’on ne peut pas faire autrement qu’exprimer quelque chose de négatif (horreur), ne jamais incriminer le travail en lui-même, mais le chef et (trop souvent) le collègue qui n’a pas fait correctement son travail, que sais-je encore, mais jamais la situation elle-même de captivité dans laquelle nous nous trouvons collectivement, et qui est là pourtant notre véritable point commun à nous tous, compétents et incompétents.
 
Face à ces deux constantes de la vie quotidienne au bureau, je reste irrémédiablement isolé. En vouloir au faible, au lent, dans un tel contexte, je n’y arrive pas, c’est plus fort que moi. Au travail, j’apprécierai toujours chez autrui la nonchalance, la maladresse, l’échec, l’incompétence, le travail salopé, qui est tellement plus difficile à faire que le travail bien fait ! Je n’arrive pas non plus à penser que, si ça va mal, c’est la faute de quelqu’un en particulier. La métaphore de la prison est parlante : peut-on vraiment se reprocher de mal y vivre ? Non, et encore moins le reprocher aux autres. Il ne s’agit que de survie. Bien-sûr je comprends que certains puissent apprécier ce qu’ils font, vouloir construire quelque chose de « collectif », je reconnais même qu’il peut parfois y avoir quelque chose d’authentiquement vivant, parfois, dans les relations que nous avons entre nous, entre collègues. Mais que l’on puisse s’en tenir là me sidère, surtout les jours où je constate un zèle généralisé, une agitation collective de chacun, lorsqu’il est tendu vers les petits objectifs de sa tâche, peu importe son caractère dérisoire puisque l’on est sommé de le faire, et que c’est tellement plus simple de le faire. Du moment que l’on ne puisse rien nous reprocher. D’où aussi l’acharnement à clarifier sans arrêt le contenu des tâches. D’où aussi le fait que la rationalisation sans fin ne rencontre jamais d’opposition véritable, puisqu’elle est vécue comme la garantie qu’il est encore possible de « bien faire son travail » et donc que l’on nous foute la paix. Mais l’effort au travail est une foutaise, tellement la situation de travail est le résultat d’une gigantesque machinerie sociale apte à soumettre n’importe qui.
 
Un jour nous avons eu une discussion sur la prison : certains la trouvaient trop confortable, du moins c’est ce qu’ils soupçonnaient. Cette affirmation était à première vue aberrante et même révoltante, mais elle avait selon moi un sens caché : le refus de prendre à bras le corps une réalité simple, à savoir que la captivité, c’était déjà notre vie, que le simple fait de sortir de ces bureaux pour rentrer chez nous, au milieu de l’après-midi, nous était impossible comme si des murs invisibles nous séparaient du monde extérieur. En arriver à être jaloux de la condition des prisonniers dans les prisons officielles, et tenir cette conversation sur notre lieu de travail, c’était implicitement dire que nous qui étions réputés libres, nous vivions réellement en captivité et que notre prison était nos bureaux, notre travail. Mais ce constat pour moi évident n’enlève rien au caractère déprimant d’une telle dénégation face à sa propre condition. Là où le véritable prisonnier ne saurait se mentir sur son enfermement, nous, travailleurs au bureau, devons cheminer longuement avant de plonger en nous-mêmes pour nous avouer notre absence de liberté.
 
Bien-sûr, le meilleur outil de cette dénégation, c’est le calcul. Un mal pour un bien, et un étalon de mesure tiré du conformisme et de l’imitation morbide. Dans le calcul économique, la souffrance au travail est naturalisée sous la notion de « coût », puis son caractère propre, ce qui s’éprouve négativement, est effacé par l’abstraction au principe d’un étalon commun, qui additionne, soustrait et divise des expériences pourtant incommensurables. Il ne reste alors qu’une grandeur par quoi tout est rapporté au même signe : le temps, l’argent. Mais toute cette morbidité, en étant collective, prend un autre sens. Elle est retournée positivement en un lien social, un sentiment d’appartenance à un grand tout abstrait (la « société »), mais peu importe cette abstraction, ce sentiment est réel et il est partagé. Et on continue à le rechercher. Cette mutilation que nous avons tous en commun fonde notre communauté de travailleurs. « Car chacun d’entre nous est là seul dans son trou de travail, à causer avec son voisin du trou d’à côté, à aimer sentir près de lui un être vivant qui court les mêmes mutilations que lui. » (Sortir de l’économie, n°1). Petits économistes de notre propre misère, nous avons appris, comme travailleurs, à nous objectiver nous-mêmes au numérateur d’un calcul coût-avantage de ce qui n’est plus une vie, mais une mise en rapport abstraite de nos propres horaires de captivité avec ceux d’autrui, qui fait de même de son côté, le tout assurant que l’approvisionnement des magasins soit fait, que la clé dans notre poche ouvre bien le gite où nous dormirons le soir. Quoique difficilement.
 
Et l’on ne pourra même pas s’avouer les uns aux autres, le lendemain, pourquoi l’on est si fatigués d’être là, d’être revenu quand même, la peur au ventre, les chiffres plein la tête du loyer, de la nounou, du casse tête de l’argent dans lequel on tourne tous en rond, et duquel il y a toujours quelqu’un au bureau pour clamer la triste et dérisoire sortie : « et si je jouais et gagnais au loto, là, plus de problème ! ». Et alors, même, on en vient à savoir apprécier les interstices où se loge la sociabilité artificielle mais reposante des conversations dérisoires entre collèges : car il y a en nous une vrai détente, un vrai soulagement, de se sentir alors quand même vivant, d’être là. On revient à notre bureau et là c’est tellement simple de s’occuper puisque, finalement, tout a été prévu, organisé. Ce travail est pour nous, on s’y loge, on retrouve son fauteuil, son écran, ses icônes. C’est que l’on habite ici aussi, désormais. On est respecté, il y a le confort, l’espace des bureaux (plus grands que nos appartements où tout s’entasse), le café, il subsiste des restes d’intimités, la superficialité des rapports humains favorise le colloque intérieur, les sentiments à nos proches, qui deviennent alors d’autant plus chers que, peut-être, ils savent reconnaître cette douleur de travailler, douleur qu’à présent, nous supportons finalement pas trop mal. A croire que nous sommes courageux. Avons surmonté quelque chose qui se nomme « aller travailler ». Et c’est pourquoi -ce n’est pas si exagéré malgré tout ce qui a été dit précédemment- on finit par se sentir chanceux de pouvoir compter sur ce salaire à la fin du mois, qui va tomber c’est sûr. Il suffit de refaire la même chose le lendemain, et c’est facile, oui.

mercredi 6 juillet 2011

SITUATION DE TRANSHUMANCE (RAGE AGAINST THE MACHINE)

C’est sur les conseils du démon que l’on inventa l’école. L’enfant aime la nature, on le parqua dans des salles closes. L’enfant aime voir son activité servir à quelque chose on fit en sorte qu’elle n’eut aucun but. Il aime bouger on l’oblige à se tenir immobile, il aime manier des objets, on le mit en contact avec des seules idées, il aime parler, on le contraignit au silence, il voudrait s’enthousiasmer, on invente les punitions. Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais appris sans l’école, ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. (Alexander Sutherland Neill)

vendredi 24 juin 2011

LA CRISE DES CLASSES MOYENNES ET LE DÉLABREMENT DE LEURS CONDITIONS DE PRODUCTION COMME ACTEURS DU SPECTACLE DE LA MARCHANDISE

Tandis qu’une fraction du décile supérieur des classes moyennes saute dans l’illusion du TGV de l’hyper-classe, les déciles inférieurs sont, les uns après les autres, déclassés. Selon les particularités de son groupe, chacun constate, pour lui–même ou pour son voisin, que ses stratégies d’ascension sont périmées et que, même à courir davantage, lui-même et ses enfants ne feront que descendre. Le capitalisme a produit les classes moyennes comme machines à consommer et à rêver : en les détruisant, il s’unifie. Les classes moyennes savent que le rêve est brisé, elles devinent la tricherie, mais ne perçoivent pas encore qui la met en scène. A l’Est comme à l’Ouest, le spectacle fut construit par la volonté délibérée d’occulter les rapports de classes réels. A l’Ouest, à côté des propriétaires, des entrepreneurs et des prolétaires vint s’ajouter pour la répartition du surplus une classe sociale invisible articulée autour d’un nouveau rapport social, celui de la redistribution (welfare). La redistribution fut utilisée comme variable d’ajustement au « besoin de consommation » exigé par la reproduction du capital. Cette forme tranquillisante de dispositif anti-émeute instituait une forme nouvelle de servitude volontaire. Depuis cinquante ans pour le moins, notre passivité, jusque dans la dénonciation superficielle du « trop de spectacle », nous rend assurément complices de cette gestion que pourtant nous savons mortifère. Le « flower power », le « new age », le « néopaganisme » et maintenant la « sobriété volontaire » préparent au changement du style d’animation. Voici le temps où les tireurs de ficelles sont forcés de modifier les attaches : le pouvoir d’achat c’est fini, aspirons aux relations. Aussi, pour le bref instant d’une situation qu’il s’agit de saisir ici sur ce blog historique, les tireurs de ficelles se montrent à leurs marionnettes.

samedi 23 avril 2011

Scop Le Pavé : l’éducation populaire dans ta face

Tous les six y croyaient, pourtant. Animateurs culturels, responsables de Maison de la jeunesse et de la culture ou militants associatifs : ils pensaient faire depuis des années de « l’éducation populaire ». Alors que : non. Il s’agissait de partenariat, de diagnostic, de citoyenneté. Rien à voir avec l’éducation populaire, cette idée née au lendemain de la Seconde guerre mondiale, après que le nazisme a prouvé qu’il ne suffisait pas d’être intelligent, éduqué et diplômé pour préférer la démocratie au totalitarisme et qu’il manquait quelque chose pour vacciner l’humanité : l’éducation politique des jeunes adultes. L’éducation populaire, donc. Une belle idée, rapidement avortée sous les pressions conjuguées du Parti communiste et des gaullistes, qui y voyaient un outil d’endoctrinement.
Retour à nos six compères et à leur désillusion. Après des années d’engagement associatif, ils se sont peu à peu rendus compte qu’ils ne faisaient que du « diagnostic participatif auprès des acteurs de la citoyenneté locale » dans des colloques «  où tout le monde vient pour être d’accord  ». Ils ont constaté la fausseté de ce mythe selon lequel « si on jette des brouettes de culture sur les pauvres, ils vont devenir aussi cultivés que les riches  » - façon de prendre le problème à l’envers. Et ils en ont conclu que « le culturel est ce qui tue le politique  ».

Une « association de travailleurs propriétaires de leur moyen de production »

Ils ont donc quitté leur emploi de « cultivateur de fumier culturel » pour aller vers autre chose. Franck Lepage et Gaël Tanguy, deux d’entre eux, racontent : «  On voulait être libre de faire vraiment de l’éducation populaire. » D’où la décision d’abandonner ce mode associatif où « s’expérimentent aujourd’hui toutes les réformes du capitalisme » : flexibilité, emplois précaires, implication des travailleurs dans leur propre exploitation. Les grosses associations, expliquent-ils, sont devenues des entreprises comme les autres avec exigence de profit et pression maximale sur les salaires. « En cherchant d’autres formes d’organisation, on est tombé sur une invention d’ouvriers du XIXe siècle : la Société coopérative ouvrière de production (Scop).  » Banco.
Une Scop induit quelques principes : égalité de salaires, pas de hiérarchie, refus de la spécialisation. Quant au responsable de la coopérative ouvrière, qui remplace le patron, il est élu démocratiquement par les autres membres, et peut être révoqué à tout moment. Histoire d’aller au fond des choses, les six aventuriers ont ajouté quelques contraintes supplémentaires : le refus des subventions publiques, « pour garder la liberté de parole », et l’interdiction de l’intéressement et des dividendes. Pour parfaire le tout, ils ont mis en place un « soviet  », chargé de prendre les décision dans la coopérative : « Historiquement, c’est bien comme ça qu’on appelle un conseil de travailleurs, non ?  »
Leur Scop a officiellement été créée en 2007 - avec un nom approprié : Le Pavé. Restait à passer à la pratique. Pas toujours simple : « C’est sympa mais v’la le bordel ! Vu qu’on discute de tout, il faut trois heures pour décider d’acheter un taille crayon... », rigole Gaël Tanguy. «  On a aussi mis en place la coopérativité : on travaille toujours en binômes, mais du coup on coûte deux fois plus cher.  » Ironie de la chose : même eux doivent finalement « vendre » leur activité, car c’est aussi ce qui les fait vivre.
Au sein de la Scop, les tâches sont au maximum interchangeables : tout le monde fait donc un peu de tout : administratif, formation, spectacle. Surtout, tout le monde gagne la même chose, « 
c’est à dire pas grand chose ». Qu’importe, ils ont la certitude d’avoir fait le bon choix : «  Nous décidons de ce que nous faisons et pendant combien de temps nous le faisons. Nous choisissons quand, où et même pourquoi nous travaillons ». Précieux.
 [1]

Conférences gesticulées et autres formations à la démocratie directe

L’une des spécialités de la Scop le Pavé est donc la présentation de conférences gesticulées. Attention : « Même s’il y a des personnes sur une scène devant un public, ce n’est pas du théâtre, encore moins de la culture », précise Franck Lepage. Tous les spectacles proposés – il en existe douze, autant de contes politiques portant sur l’école, le travail, le féminisme ou l’écologie – s’intitulent donc « Incultures », avec cette ambition de mettre en scène « une rencontre entre les savoirs chauds et les savoirs froids ». Soit d’un côté, leur vécu propre, leur histoire, et de l’autre côté les savoirs universitaires : « Une conférence gesticulée, c’est finalement une théorie incarnée. »
S’y ajoute un troisième ingrédient : l’humour. La meilleure manière de faire comprendre à tous des théories complexes. Exemple : « Moraliser le capitalisme, ça veut dire que vous êtes dans la jungle, que vous voyez approcher un tigre vers vous et que vous lui dites : couché kiki ! » C’est tout de suite plus clair « et ça change tout, s’enthousiasme Franck, c’est comme si un professeur se mettait à parler de sa vie pour faire son cours !  » Sauf que ce cours-là est politique, au sens large, et qu’il a pour objectif de pousser à l’action collective sous toutes ses formes.
Mais les conférences gesticulées restent une part mineure du travail de la SCOP. L’essentiel de leur activité se mène sur le terrain. Par exemple, avec ces rares collectivités territoriales qui s’essayent à faire participer les habitants : «  Au début, ils ont peur, parce que ça renverse totalement la démocratie délégataire. Mais certains jouent le jeu.  » Mais aussi avec des militants associatifs, ceux qui n’en peuvent plus de faire de la « gouvernance  », de la « citoyenneté  » et veulent revenir aux sources de l’éducation populaire : ils les forment à différentes techniques de démocratie directe. « Prenons un truc tout simple dans une réunion de coordination : tu interdis à quiconque de prendre la parole plus d’une fois. C’est efficace : le responsable fait son truc, mais les autres peuvent ensuite plus facilement dire ce qu’ils ont sur le cœur sans craindre de se faire descendre. » Autre exemple : «  On interdit toute forme de présentation. D’abord ça prend une plombe pour rien, et puis quand tu n’as plus les formules façon ’moi je travaille à la CAF, moi à la jeunesse et aux sports, moi je suis rien’, tu rééquilibre un peu les rapports de pouvoir.  »

Ne pas grandir, se multiplier

Tout allait très bien jusqu’à cette « grave erreur », explique Franck : « En septembre 2010, au début de la mobilisation contre la réforme des retraites, on s’est dit que ce serait bien de mettre sur Internet un extrait du spectacle, pour parler de l’enjeu du combat. » Problème : la vidéo a eu énormément de succès. Résultat : la petite coopérative bretonne est depuis assaillie de demandes « toutes plus intéressantes les unes que les autres  », qu’elle est obligée de refuser. Que faire ? Embaucher de nouveaux salariés ? Une mauvaise idée, selon Franck : « On sait pertinemment que si on augmente le nombre de membres de la Scop, on ne se croisera plus et on ne saura plus ce que font les uns et les autres. Notre travail deviendra une usine à gaz et la dynamique qu’on a crée à six mourra d’elle-même. »
Ils ont finalement trouvé : plutôt que de grossir, ils vont essaimer. « L’idée est que se créent un peu partout en France des coopératives d’éducation populaire qui pourront faire le même travail que nous, en répondant aux demandes locales. Il faut que ceux qui nous proposent de venir les voir fassent eux-mêmes le travail. » Depuis, les membres de la Scop organisent des sessions de formations pour tous ceux qui voudraient se lancer dans une telle aventure. Et petit à petit, des coopératives d’éducation populaire similaires voient le jour - à Tours, à Grenoble ou à Toulouse. En faisant bien attention de ne pas mettre la charrue avant les bœufs : « Le but est de construire un petit groupe avec qui ça marche et avec qui ça puisse tenir sur la durée, explique Katia, de Toulouse.Ça ne sert à rien de partir bille en tête s’il n’y a pas une vraie dynamique. » Quant à Franck Lepage, il a une jolie idée en forme de rêve : « Imagine, dans dix ans il y aura peut-être des centaines de Scop d’éducation populaire dans tout le pays ! En les balançant ensemble dans la gueule des puissants, on pourra peut être vraiment changer les choses.  » Comme un beau pavé dans leur mare.

Notes

[1] Élément graphique réalisé par les camarades de Formes Vivesk tout comme celui utilisé plus bas dans l’article. D’autres productions conjointes avec la Scop ici.

lundi 28 mars 2011

SITUATION DE TRANSHUMANCE

Il n’y a pas de « catas­tro­phe envi­ron­ne­men­tale ». Il y a cette catas­tro­phe qu’est l’envi­ron­ne­ment. L’envi­ron­ne­ment, c’est ce qu’il reste à l’homme quand il a tout perdu. Ceux qui habi­tent un quar­tier, une rue, un vallon, une guerre, un ate­lier, n’ont pas d’« envi­ron­ne­ment », ils évoluent dans un monde peuplé de pré­sen­ces, de dan­gers, d’amis, d’enne­mis, de points de vie et de points de mort, de toutes sortes d’êtres. Ce monde a sa consis­tance, qui varie avec l’inten­sité et la qua­lité des liens qui nous atta­chent à tous ces êtres, à tous ces lieux. Il n’y a que nous, enfants de la dépos­ses­sion finale, exilés de la der­nière heure – qui vien­nent au monde dans des cubes de béton, cueillent des fruits dans les super­mar­chés et guet­tent l’écho du monde à la télé – pour avoir un envi­ron­ne­ment. Il n’y a que nous pour assis­ter à notre propre anéan­tis­se­ment comme s’il s’agis­sait d’un simple chan­ge­ment d’atmo­sphère. Pour s’indi­gner des der­niè­res avan­cées du désas­tre, et en dres­ser patiem­ment l’ency­clo­pé­die.
L'INSURRECTION QUI VIENT

jeudi 24 mars 2011

"El pueblo tiene la sensación de que las instituciones ya no le representan"

Fuente : La Tribune.fr - 21/03/2011
Veinte años después de la caída del muro de Berlín, el antropólogo y sociólogo Paul Jorion pronuncia la oración fúnebre del capitalismo. En su nuevo libro (*), analiza las causas de su cercana muerte y nos da algunas pistas para el futuro. 

Usted anunció en 2007 la crisis del capitalismo americano. En su opinión, hoy el capitalismo está agonizando. ¿Para cuando su acta de defunción ?
Su caída es ahora segura ya que ha entrado en una dinámica de implosión que solo podrían frenar medidas que, sabemos ahora con certeza, nuestros dirigentes no tomaran, y cuanto más se tarda  más difícil se hace un eventual enderezamiento de la situación. La aparente mejoría de la bolsa  no nos debe engañar. Los desequilibrios siguen estando presentes. Y la crisis financiera ha arruinado a los Estados. Ya no tienen los medios de financiar una protección social que permitía mantener la creencia de que todo el mundo podía beneficiarse del sistema. No obstante ese sistema es muy duro con aquellos que ya no están bajo su protección. Fíjense en los EEUU: 100.000 personas se manifiestan por las calles del Estado de Wisconsin, en su mayoría blancos de la clase media, para protestar contra la suspensión de sus derechos sindicales. Y Gran Bretaña no podrá desmantelar su protección social sin reacciones. Los movimientos de protesta se multiplicaran y acompañaran la caída del capitalismo.

jeudi 17 février 2011

L'UNIVERSITÉ ET LA CRISE DES SCIENCES SOCIALES

Depuis quelques années, et encore tout récemment au dernier salon du livre de Paris, l’un des thèmes qui revient avec le plus insistance sur le devant de la scène concerne ce qu’il est convenu d’appeler la « crise » de l’édition en sciences humaines et en philosophie.
On sait en effet que les ouvrages de recherche se vendent de plus en plus mal. Ils peinent à trouver un lectorat. En regard, les tirages atteints par certaines des œuvres emblématiques des années 1960 et 1970 laissent rêveur. Et il apparaît désormais non seulement impossible mais également impensable que des livres de sciences sociales, même de grande qualité, puissent atteindre la diffusion à laquelle ils auraient pu prétendre voilà à peine trente ans.
Ce phénomène a suscité de nombreuses tentatives d’explications. Deux reviennent le plus souvent. D’une part, la baisse de la lecture et la transformation du public de livres, qui aurait peu à peu déserté les sciences sociales ; d’autre part, la mutation du journalisme, qui, au lieu de servir, comme dans les années 1960 et 1970, d’intermédiaire entre l’espace académique et l’espace public, ferait de plus en plus obstacle à la circulation exotérique des œuvres et se contenterait de plus en plus de parler toujours des mêmes auteurs, déjà connus dans les médias.
Certes, ces perceptions, que les universitaires, et les éditeurs avec eux d’ailleurs, invoquent systématiquement lorsqu’ils essaient de trouver des raisons au faible écho rencontré par leurs livres, ne sont pas totalement infondées. On peut néanmoins se demander si cette manière de voir ne constitue pas, dans le même temps, une subtile et habile opération de diversion : en attirant l’attention sur la baisse de la demande de théorie ou sur la dégradation de la qualité des opérations de médiation, ne fait-on pas l’économie d’une réflexion sur ce qui se situe du côté de l’offre, c’est-à-dire sur l’évolution de la nature et de la qualité de la production ? N’évite-t-on pas de poser la question de la responsabilité de l’Université, et des universitaires eux-mêmes, dans cette situation ?
A bien des égards, la diminution de l’attrait des sciences humaines pourrait en effet être analysée comme le résultat des processus qui se sont mis en place dans l’Université depuis une vingtaine d’année. La professionnalisation des disciplines et la fermeture sur lui-même du champ académique ont en effet instauré le règne d’une recherche de plus en plus autarcique, concentrée sur des enjeux strictement internes, qui ne se soucie aucunement des effets qu’elle serait susceptible de produire, ni des publics qu’elle pourrait rencontrer. La volontéde défendre l’autonomie du champ académique par rapport aux pressions« externes » et aux demandes « profanes » a ainsi engendré l’un des phénomènes les plus inquiétants d’aujourd’hui : l’assignation de la recherche à résidence universitaire. De plus en plus souvent, la recherche est affirmée et vécue commeune affaire de professionnels, qui devrait se fabriquer dans des circuits réservés à ceux qui se reconnaissent mutuellement comme des« pairs ». La communauté académique ou disciplinaire est présentée comme le lieu naturel de la production, de la discussion et du contrôle des connaissances – et un chercheur devrait toujours, d’abord, s’adresser à ses collègues et se soumettre à leur jugement.
Est-il totalement exagéré d’affirmer qu’un tel dispositif agit dans le sens d’une destruction de l’idée même de vie intellectuelle ? Car comment les universitaires, qui necessent de se poser en s’opposant aux « profanes » et de disqualifier ainsi symboliquement le public « externe » en le renvoyant à l’amateurisme et à l’illégitimité culturelle, pourraient-ils sortir de l’Université ? Comment leur serait-il possible d’atteindre un lectorat pour lequel ils n’écrivent pas ? Comment pourraient-ils intéresser des individus hors du cercle de leurs collègues, dès lors qu’ils constituent ces derniers comme leurs seuls clients légitimes, dignes d’eux et habilités à leslire ?
La capacité des livres à toucher le public dépend, pour une grande part, du comportement de leurs auteurs, de leur manière d’écrire et de penser : à qui s’adressent-ils ? Pourqui et pour quoi écrivent-ils ? C’est la raison pour laquelle réinjecter un peu de vie et de vitalité dans les sciences humaines contemporaines suppose que les universitaires portent un regard critique sur eux-mêmes. Plutôt que de se contenter de célébrer les années 1960 et 1970, ne vaudrait-il pas mieux tâcher de renouer avec le type d’inspiration qui portait la pensée dans ces décennies : placer la réflexion en résonance avec le présent, renouveler la théorie au contact des mouvements qui agitent le champ social, s’adresser à des lecteurs hétérogènes, etc. ? C’est lorsque l’offre théorique se transformera dans cette direction qu’un enthousiasme pour la création pourra renaître.

lundi 14 février 2011

Généalogie de la notion de gentrification


La gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement qui concerne les quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’« espace public » et des commerces. Cette notion s’insère dans le champ de la « ségrégation » sociale et implique un changement dans la division sociale de l’espace intra-urbain, qui passe aussi par sa transformation physique.
À l’origine, gentrification est un néologisme anglais inventé en 1964 par Ruth Glass, sociologue marxiste, à propos de Londres. Le mot est composé à partir de gentry, terme qui renvoie à la petit noblesse terrienne en Angleterre, mais aussi, plus généralement, à la bonne société, aux gens bien nés, dans un sens péjoratif. Ce nouveau mot a donc à l’origine un sens critique par rapport au processus qu’il désigne. À Londres dans les années 1960, il s’agissait de la réhabilitation de l’habitat ancien populaire à travers son appropriation par des ménages aisés, en particulier dans le district d’Islington, au nord de la City. Ce n’est que dans les années 1970-1980 que la notion est reprise par des chercheurs anglais et nord-américains, principalement géographes, qui théorisent la notion. La gentrification est reconnue comme une « bifurcation »dans l’évolution sociale des quartiers centraux dégradés des grandes villes, à rebours des modèles d’écologie urbaine de l’École de Chicago. On parle alors de « retour au « centre » » des classes aisées, même s’il s’avère qu’il s’agit plutôt d’un non départ en banlieue que d’un véritable retour. Dans les années 1980-1990, les débats sont vifs et portent principalement sur les causes de ce processus : Neil Smith soutient que la gentrification est d’abord liée à un réinvestissement du centre par les pouvoirs publics et les acteurs privés de l’immobilier, produisant une nouvelle offre de logements haut de gamme dans les anciens quartiers populaires ; au contraire, David Ley, l’explique principalement par les choix individuels des ménages gentrifieurs, issus d’une nouvelle classe moyenne qui se caractérise par de nouveaux choix résidentiels. Pour expliquer cette préférence nouvelle des classes moyennes pour le centre, plusieurs travaux mettent en évidence l’importance de la place des femmes, à la fois actives et parfois élevant seules leurs enfants, ou l’affirmation de modes de vie différents comme les couples homosexuels. Ce n’est que plus récemment, depuis le milieu des années 1990, que les chercheurs s’intéressent en particulier au rôle des politiques publiques dans la gentrification et à ses conséquences sur les classes populaires, la plupart du temps évincées en périphérie. Avec Neil Smith, géographe marxiste élève de David Harvey, un fort courant de géographie radicale structure le champ de la gentrification, en lui donnant une assise critique.
La gentrification a, dans un premier temps, été identifiée comme un processus de réappropriation par les classes moyennes des centres-villes délaissés des villes américaines et anglaises. Elle commence avec la revalorisation systématique des centres-villes américains dans les années 1950-1960 et la reconstruction en Angleterre à la même époque. Elle s’étend dans les années 1970-1980, s’accompagnant souvent de mouvements de résistance. La récession des années 1990 a fait prédire à certains le tassement du processus, voire un mouvement inverse, vite infirmé par les faits, la gentrification reprenant de plus belle et se généralisant dans les années 2000 sans plus occasionner de résistance. Elle est devenue aujourd’hui un objectif majeur des politiques urbaines dans de nombreuses villes à travers le monde, les pouvoirs publics jouant un rôle de premier plan dans la réappropriation des centres par les classes aisées au détriment des classes populaires. Parallèlement, le processus a évolué dans ses formes et ne se limite plus à la réhabilitation progressive des quartiers populaires par des ménages aisés. La gentrification inclut de multiples formes de transformation d’espaces populaires, pas nécessairement résidentiels – comme les espaces industriels, et en particulier les anciens docks – que ce soit par la réhabilitation ou la construction neuve (new-build gentrification), à l’initiative des pouvoirs publics, de promoteurs privés ou de nouveaux ménages résidents. Elle ne se limite plus non plus au centre des villes, et gagne les « banlieues », en général bien reliées au centre-ville.
En Europe continentale, de tels processus avaient été étudiés dès les années 1960-1970 notamment autour du Centre de sociologie urbaine de Nanterre, qui étudia et critiqua vivement les opérations de rénovation menées par l’État en région parisienne. Mais la notion de gentrification n’était pas utilisée jusqu’à récemment dans la littérature scientifique française. C’est seulement en 2003 (Bidou-Zachariasen. C) qu’un premier ouvrage en français lui est explicitement consacré et qu’elle fait son apparition dans des dictionnaires scientifiques.
Depuis son invention, la connotation du mot a changé et varie selon les contextes culturels : dans le monde anglo-saxon, il est passé dans le langage courant et a en partie perdu sa charge critique à la suite de campagnes de valorisation menée par les promoteurs et les pouvoirs publics, « gentrification » étant alors synonyme de « renaissance » ou de « régénération urbaine », passant sous silence les mécanismes de ségrégation qu’elle recouvre. À l’inverse, en Belgique ou en Allemagne, le terme est toujours perçu comme fortement critique, comme en témoigne l’arrestation des chercheurs allemands Mathias Bernt et Andrej Holm en 2007 à Berlin, accusés de « faire partie d’une association terroriste » à cause de leur proximité avec les milieux activistes de résistance à la gentrification. En France, le terme reste cantonné à la sphère scientifique et est peu utilisé par les médias, qui préfèrent parler des « bobos » ou de « boboïsation » ; paré de l’aura des mots anglais, il ne semble pas faire polémique.
Anne Clerval
Bibliographie :
- AUTHIER J.-Y., BIDOU-ZACHARIASEN C. (dir.), 2008, « La gentrification urbaine », Espaces et Sociétés, no 132-133.
- BIDOU-ZACHARIASEN C. (dir.), 2003, Retours en ville : des processus de « gentrification » urbaine aux politiques de « revitalisation » des centres, Paris, Descartes & Cie, 267 p.
- BUTLER T. et ROBSON G., 2003, London calling : the middle classes and the remaking of inner London, Oxford, Berg Publishers, 256 p.
- CLERVAL A., 2008, La gentrification à Paris intra-muros : dynamiques spatiales, rapports sociaux et politiques publiques, thèse de doctorat en géographie, Université de Paris 1, 602 p. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel...
- FIJALKOW Y. et PRETECEILLE E. (dir.), 2006, « Gentrification : discours et politiques urbaines (France, Royaume-Uni, Canada) », Sociétés Contemporaines, 2006, no 63.
- GLASS R., 1964, « Introduction » in Centre for Urban Studies (dir.), London, aspects of change, Londres, Macgibbon & Kee, p. XII-XLI.
- LEES L., SLATER T., WYLY E., 2008, Gentrification, New York, Routledge, 309 p.
- LEY D., 1996, The New middle class and the remaking of the central city, Oxford, Oxford University Press, 400 p.
- SMITH N., 1996, The New urban frontier : gentrification and the revanchist city, New York, Routledge, XX-262 p.