"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille

« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.


« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP

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dimanche 30 octobre 2011

La consummation du religieux

Marcel Gauchet reprend l’expression de « désenchantement du monde », utilisée par Max Weber pour décrire l’élimination du magique dans la construction du Salut, mais ce qu’il désigne par là va au-delà de l’objet désigné par Weber. Pour Marcel Gauchet, le religieux en tant que principe extérieur au social, et qui modèle le social depuis l’extérieur, c’est fini. Et l’originalité de l’Occident aura consisté, précisément, à opérer cette incorporation totale, dans le social, des fonctions traditionnellement allouées au religieux.
Le « désenchantement du monde », version Gauchet, ce n’est donc pas seulement l’élimination du magique dans le religieux, c’est bien encore la disparition du religieux en tant qu’espace collectif structurant et autonome.
Il s’agit donc ici de comprendre pourquoi le christianisme aura été, historiquement, la religion de la sortie de la religion. L’enjeu de cette histoire politique de la religion : comprendre quelles fonctions la religion tenait dans les sociétés traditionnelles, et donc si d’autres moyens permettront de les maintenir.


*
Commençons par résumer « l’histoire politique de la religion », vue par Marcel Gauchet. C’est, après tout, pratiquement devenu un classique – un des très rares grands textes produits par la pensée française de la fin du XX° siècle.
Le fait est que jusqu’ici, le religieux a existé dans toutes les sociétés, à toutes les époques connues. Qu’il ait tenu une fonction dans chaque société, à chaque époque, n’est guère douteux. Une première question est de savoir si cette fonction fut constamment la même, et, dans le cas contraire, comment elle a évolué.
Pour Gauchet, il faut mettre à jour une structure anthropologique sous-jacente dont le religieux fut l’armature visible à un certain stade du développement historique. Cette structure fondamentale, c’est ce qu’il appelle : « L’homme contre lui-même ». Il entend par là la codification par l’homme d’un espace mental organisé autour du refus de la nature (celle du sujet, celle des autres hommes, celle de l’univers), afin de rendre possible un contrepoids salvateur, le « refus du refus » (qui permet d’accepter les autres hommes au nom du refus du sujet auto référant, d’accepter le sujet au nom de son refus, et finalement d’accepter la nature de l’univers au nom du refus général appliqué à la possibilité de la refuser). Le religieux a été, pour Marcel Gauchet, la forme prise, à un certain moment de l’histoire de l’humanité, par une nécessité incontournable induite par la capacité de refus propre à l’esprit humain : l’organisation du refus du refus, de la négation de la négation – bref, du ressort de la pensée même.
Gauchet renverse ici la conception classique, qui voit dans la religion un obstacle à la perspective historique. Faux, dit-il : la religion a eu pour mission de rendre possible l’entrée de l’humanité dans l’histoire, précisément en organisant une entrée « à reculons ». L’humanité ne voulait pas, n’a jamais voulu être historique. L’historicité lui enseigne une mortalité qu’elle redoute, qu’elle abhorre. La religion, en organisant le refus dans l’ordre symbolique, a été la ruse par laquelle l’humanité, tournant le dos à son avenir, pouvait aller vers lui sans le voir. Une méthode de gestion psychologique collective, en somme : en refusant dans l’ordre symbolique, on rend possible l’acceptation muette du mouvement permanent qu’on opère, par ailleurs, dans l’ordre réel, à un rythme si lent qu’on peut maintenir l’illusion d’une relative stabilité.
Sous cet angle, la « progression du religieux » peut être vue comme son oblitération progressive, au fur et à mesure que l’humanité accepte de regarder en face son inscription dans l’histoire, et d’assumer, donc, son refus de la nature. Des religions primitives au christianisme, on assiste ainsi à une lente réappropriation du fondement du religieux par l’homme, jusqu’à ce que « Dieu se fasse homme ».
C’est un long trajet car, au départ, dans la religion primitive, les Dieux sont radicalement étrangers à l’homme. Leur puissance le surpasse infiniment. Les succès humains ne peuvent être dus qu’à la faveur divine, les échecs à la colère (forcément juste) des divinités offensées. Voilà toute la religion primitive. Elle est étroitement associée à un système politique de chefferie, où l’opposition pouvoir-société est neutralisée par l’insignifiance (réelle) du premier, rendue possible par l’insignifiance (volontairement exagérée) de la seconde. La création d’une instance symbolique de régulation au-delà de la compétence humaine a d’abord été, pendant des millénaires, une manière de limiter la compétence des régulateurs humains. Le holisme fondamental des sociétés religieuses, nous dit Gauchet, ne doit pas être vu comme le contraire de notre individualisme, mais comme une autre manière de penser le social : un social qui n’était pas, et n’avait pas besoin d’être, un « social-historique ». C’était un social « non historique », où la Règle était immuable, étrangère au monde humain, impossible à contester.
Cette altérité du fondement de la règle, propre aux religions des sociétés primitives, est, pour Gauchet, « le religieux à l’état pur ». En ce sens, l’émergence progressive des « grandes religions » ne doit pas être pensée comme un approfondissement, un enrichissement du religieux, mais au contraire comme sa déconstruction : plus la religion va entrer dans l’histoire, moins elle sera extérieure au social-historique, et moins, au fond, elle sera religieuse.
Cette remise en cause du religieux s’est faite par étapes.
D’abord, il y eut l’émergence de l’Etat. En créant une instance de régulation mondaine susceptible de se réformer, elle a rendu possible le questionnement de la régulation. Il a donc fallu codifier un processus de mise en mouvement de « l’avant » créateur de règles. Les dieux se sont mis à bouger ; jusque là, ils vivaient hors du temps, et soudain, ils ont été inscrits dans une succession d’évènements. L’intemporel s’est doté de sa temporalité propre. Enjeu : définir, par la mythologie, une grille de cautionnement de la domination politique, ancrée dans un récit fondateur. La hiérarchie des dieux impose la hiérarchie des hommes à travers la subordination des hommes aux dieux, subordination rendue possible par le début de l’effacement de la magie (où le magicien maîtrise les forces surnaturelles) et l’affirmation du cultuel (où le prêtre sert des forces qui le dépassent). Le processus de domination mentale (des prêtres par les dieux, des hommes par les prêtres) devient ainsi l’auxiliaire du processus d’assimilation/englobement par l’Etat, donc de la conquête. Ce processus s’est accompli progressivement, en gros entre -800 et -200, dans toute l’Eurasie.
Le contrecoup de ce mécanisme, inéluctablement, fut le tout début de l’émergence de l’individu. Le pôle étatique définit un universel ; dès lors, le particulier devient pensable non par opposition aux autres particuliers, mais par opposition à l’universel. L’individu commence alors  à être perçu comme une intériorité. Et du coup, l’Autre lui-même est perçu dans son intériorité.
D’où, encore, l’invention de  l’Outre-Monde. Pour un primitif, le surnaturel fait partie du monde. Il n’existe pas de rupture entre le naturel et le surnaturel, entre l’immanent et le transcendant. Au fond, il n’existe pas d’opposition esprit/matière : tout est esprit, ou tout est matière, ou plutôt tout est esprit-matière, « souffle ».
Et d’où, enfin, le mouvement interne du christianisme occidental.
*
Progressivement, dans le christianisme, la dynamique religieuse se déplace pour s’installer à l’intérieur de l’individu. Le temps collectif étant historique, le temps religieux devient le temps individuel. Ce déplacement de la dynamique religieuse est, pour Gauchet, le mouvement interne spécifique du christianisme occidental.
Les autres mondes sont restés longtemps bloqués au niveau de la religion-Etat, du temps historique religieux ; seul le monde chrétien, surtout occidental, a totalement abandonné le temps collectif à l’Histoire, pour offrir à la religion un terrain de compensation, le temps individuel. Gauchet écrit : « Avec le même substrat théologique qui a porté l’avènement de l’univers capitaliste-rationnel-démocratique, la civilisation chrétienne eût pu rejoindre la torpeur et les lenteurs de l’Orient. Il eût suffi centralement d’une chose pour laquelle toutes les conditions étaient réunies : la re-hiérarchisation du principe dé-hiérarchisant inscrit dans la division christique du divin et de l’humain. »
Il n’en est pas allé ainsi. L’Occident est devenu une exception, et sa dynamique religieuse est allée jusqu’à son terme.
Il en est découlé, dans notre civilisation et au départ seulement dans notre civilisation, un accroissement des ambitions et de l’Histoire, et de la religion.
Jusque là, les deux termes étaient limités l’un par l’autre. De leur séparation découle la disparition de leurs limitations. L’Histoire peut théoriquement se prolonger jusqu’à sa fin. Elle a cessé d’être cyclique. La religion, de son côté, peut poursuivre la réunification de l’Etre à l’intérieur de la conscience humaine.
L’adossement de ces deux termes ouvre la porte à une conception du monde nouvelle, dans laquelle l’homme est son co-rédempteur, à travers la Foi (qui élève son esprit jusqu’à l’intelligence divine) et les œuvres (qui le font participer d’une révélation, à travers l’Histoire). Seul le christianisme, explique Gauchet, a défini cette architecture spécifique – et plus particulièrement le christianisme occidental.
Progressivement, à travers le premier millénaire, d’abord très lentement, le christianisme élabore cette architecture. Avec la réforme grégorienne et, ensuite, l’émergence des Etats français et anglais, l’Occident commence à en déduire des conclusions révolutionnaires mais logiques. Le pouvoir politique et le pouvoir spirituel se distinguent de plus en plus clairement.  La grandeur divine accessible par la conscience devient étrangère à la hiérarchie temporelle, elle lui échappe et fonde un ordre autonomisé à l’égard du politique. En retour, le politique se conçoit de plus en plus comme un produit de l’immanence. Le souverain, jadis pont entre le ciel et la terre, devient la personne symbolique d’une souveraineté collective, issue des réalités matérielles et consacrée avant tout à leur administration. Avec la Réforme, l’évolution est parachevée : l’Etat et l’Eglise sont non seulement distincts, mais progressivement séparés.
Les catégories de la « sortie de la religion », c'est-à-dire le social-historique dans le temps collectif, le libre examen dans le temps individuel, sont issues directement de cette évolution. Ici réside sans doute un des plus importants enseignements de Gauchet, une idée qui prend à revers toute la critique classique en France : notre moderne appréhension du monde en termes de nécessité objective n’est pas antagoniste de la conception chrétienne de l’absolu-divin personnel : au contraire, elle en est un pur produit.
*
La conclusion de Gauchet est que la « sortie de la religion » ouvre la porte non à une disparition du religieux, mais à sa réduction au temps individuel (une évolution particulièrement nette aux USA, où la religion est surpuissante comme force modelant les individus, mais quasi-inexistante comme puissance sociale réelle). Et d’ajouter qu’avec l’émergence puis la dissolution des idéologies, nous avons tout simplement assisté à la fin des religions collectives, qui sont d’abord retombées dans le temps historique à travers la politique, et s’y sont abîmées définitivement.
Sous-entendu : voici venir un temps où il va falloir se débrouiller sans la moindre religion collective, et faire avec, dans un cadre en quelque sorte purement structuraliste, en nous résignant à être des sujets, sans opium sacral pour atténuer la douleur de nos désirs. Car c’est à peu près là, au fond, la seule fonction du religieux qui, aux yeux de Gauchet, ne peut pas être assurée par le social radicalement exempt de la religion.

L’expulsion du religieux, retiré totalement du temps collectif, implique que ce temps-là, le temps collectif, ne peut plus être pensé en fonction de la moindre ligne de fuite. S’il n’y a plus du tout de religieux dans le temps collectif, alors la mort des générations en marque les bornes. Et donc, il n’y a plus de pensée collective sur le long terme, au-delà de la génération qui programme, qui dirige, qui décide (aujourd’hui : la génération du baby-boom).
Le structuralisme est l'idée à creuser: les ennuis de l’Occident commencent là, dans cette désorientation  du temps collectif. Tant que le religieux se retirait du temps collectif, il continuait à l’imprégner d’une représentation du très long terme, et aspirait en quelque sorte le politique vers cette représentation : ce fut la formule de pensée qui assura l’expansion de l’Occident, le retrait du religieux ouvrant un espace de développement accru au politique, à l’économique, au scientifique, tous lancés secrètement à la poursuite du religieux qui s’éloignait. MAIS à partir du moment où le religieux s’est retiré, l’espace qu’il abandonne est déstructuré, et il n’y a plus de ligne de fuite pour construire une représentation à long terme.
La dynamique spirituelle de la chrétienté occidentale a suscité des forces énormes aussi longtemps qu’elle était mouvement ; dès l’instant où elle parvient à son aboutissement, elle débouche sur une anomie complète. 
 *
Nous ne faisons pas confiance au structuralisme universitaire de type Gauchet qui établit des diagnostics sans établir de traitement.
L'université ne peut de part "sa structure" reprendre sciemment les
fonctions du religieux ce que nous ne nous interdisons pas bien au contraire, notamment dans sa fonction symbolique exprimée cultuellement et artistiquement. C'est en vertu de ses instruments, ou le jeu, le spontané, le paradoxe, ne sont pas des incohérences mais des avantages, qu'il est possible de sortir d'un rapport anomique au réel et de réhabiliter une relation de soin, où les capacités créatives, et donc manuelles et corporelles, vont de pair avec une conscience critique. Réparation fonctionnelle et témoignage critique sont les raisons d'être de SPECTAKLISTA comme matrice de régénération du SPECTACLE.

lundi 19 septembre 2011

"Cogitamus" de Bruno Latour (recension)


Dans sa derniére livraison, "Cogitamus, six letttres sur les humanités scientifiques", Bruno Latour nous livre une de ses  tentatives successives de "vulgarisation" de sa pensée (comme dans "la science en action", "petites leçons de sociologie des sciences", etc) Mais si les autres textes ouvraient le champ des possibles vers de nouvelles conception de la sociologie des sciences (et des techniques) celle ci semble opérer un replis sur "l'analyse de controverses" qu'il prolonge par la cartographie de ces mêmes controverses.



On le sait, il y a pour l'auteur la "science en train de se faire", et la science faite, la science "dépliée" (problématique et problématisée) et la science faite pour laquelle la "Nature" est une "essence" de nature fortement idéaliste. La vérité de la science se situerait du coté de la science "dépliée", de ses questionnements et  de ses querelles. Les débats fortement controversé feraient apparaitre selon l'auteur qu'il n'y a pas de science "pure" ou de "science appliquée", mais des "imbroglio de sciences" ou sont mélangés science à proprement parler, mais aussi politique, sociologie, pouvoirs, institutions, instruments, tout ceci  saisi dans un "noeud  gordien" (qu'il conviendrait, justement "de ne pas trancher.)

Ces propos ne sont pas nouveau sous la plume de Bruno Latour, mais ce qui étonne dans un premier temps (et donc interroge, pour reprendre une de ses méthodes privilégiées) c'est la forme "classique" qu'il imprime à cet ouvrage. Présenté sous forme de "lettres", celui ci utilise en effet un ensemble de moyens rhétoriques pour s'inscrire sous la forme "classique". Le premier procédé c'est évidemment la forme "diariste" dont on a pu remarquer depuis une certaine querelle instillée par notre hyperprésident (qui s'étonnait de l'usage des "lettres de madame de Sévignée" dans la selection des fonctionnaires territorial) l'usage "subversif" qui peut en être fait. Le second entraine la réévaluation des  "humanités" dans son sens "classique" mais étendu à une réflexion sur la science (le nouvel enseignement de Bruno Latour à Science Po paris étant intitulé "humanités scientifiques") Les lettres ainsi écrites s'adressent à une étudiante allemande, étudiant à paris via sans doute le programme d'échange européen "Erasmus"... (encore un humaniste, ce qui renvoit aux humanités) Enfin, le "personnage" principal de l'ouvrage semble bien être Descartes et son "Cogito ergo sum" auquel Latour opose son "nous pensons" (Cogitarum "nous pensons", oposé à la version individuelle et analytique de Descartes)

Mais tout en donnant des indices de classissisme, la matiére enseignée est bien ces "sciences studies" qui sont en France combattues et décriée en fonction d'un positivisme obsolète. Bien que l'ouvrage regorge d'exemples "nationaux", c'est bien les références anglo saxonnes qui sont alors convoquées et qui donnent aux exemples pratiques leur saveur... Il n'est besoin, pour s'en convaincre, que de lire l'abondande bibliographie en fin du livre.

On peut alors interpréter ce recours stylistique au "classique" une tactique faite pour échapper à la "science war" qui prend Latour pour cible a partir d'un fort médiocre ouvrage de Sokal et Bricmond "impostures intelectuelles". Mais aussi rassurer les "décideurs", et se mettre dans une position stratégique...

Les humanités scientifiques

Un des modèles, un des inspirateurs de Bruno Latour est, on le sait, Michel Serres. Celui ci, dans son "passage du nord ouest" livre une définition canonique de ce que sont les fameuses "humanités scientifiques" :« Deux cultures se juxtaposent, deux groupes, deux collectivités, deux familles de langues. Ceux qui furent formés aux sciences dès leur enfance ont coutume d’exclure de leur pensée, de leur vie, de leurs actions communes, ce qui peut ressembler à l’histoire et aux arts, aux œuvres de langue, aux œuvres de temps. Instruits incultes, ils sont formés à oublier les hommes, leurs rapports, leurs douleurs, la mortalité. Ceux qui furent formés aux lettres dès leur enfance sont jetés dans ce qu’on est convenu de nommer les sciences humaines, où ils perdent à jamais le monde : œuvres sans arbre ni mer, sans nuage ni terre, sauf dans les rêves ou dans les dictionnaires. Cultivés ignorants, ils se consacrent aux chamailles sans objet, ils n’ont jamais connu que des enjeux, des fétiches ou des marchandises. » Et il tente de rassembler ces deux humanités sous le même chapiteau, qui constitue justement le projet final des "humanités scientifiques".« Je crains que ces deux groupes ne se livrent combat que pour des possessions depuis longtemps raflées par un troisième, parasite, ignorant et inculte à la fois, qui les ordonne et qui les administre, qui jouit de leur division et qui la nourrit » Pour rassembler ces deux groupes, l'épreuve privilégiée qui permet de rassembler ces deux brins épars des "humanités" classique, c'est l'analyse de controverse. En analysant les polémiques mettant en bout des "morceaux de science", des bouts de politiques, des humeurs, des institutions, cela permet de rendre le réseau de leur relations plus visible (B Latour donne l'exemple de l'explosion de la navette "Challenger" comme exemple canonique du passage à un système technique "simple", à un systéme faisant ressortir les alliances, les stratégies, les mélanges....)

Contre Descartes

A l'inverse de Paul Feyerabend, auteur d'un "contre la méthode", ce n'est pas le coté analytique et rationaliste de Descarte que Bruno Latour prétend contester, mais son célébre "Cogito Ergo Sum" ("je pense, donc je suis") Pour Latour, on ne pense jamais seul, "hors sol"... Il ne se situe pas non plus dans la mouvance des "savoirs situés" chers à Donna Haraway (qui mériterait, le concept et son auteur, un billet à lui tout seul) mais dans une conception chorale des imbroglios de science, de culture, de politique et de rhétorique... Cette conception "orchestrale" de la science correspond de plus en plus à l'activité réelle du chercheur, qui est de moins en moins un esprit seul dans son laboratoire, révolutionnant le savoir avec des expériences presques clandestines (pour autant que cette description ne soit pas en réalité une réécriture de fiction), mais dans un processus de plus en plus complexe de références et d'échanges, de citations réciproques et de dispositifs techniques lourds industrialisés (un accelérateur de particule ne ressemble t il pas de plus en plus à une usine ?)

Philosophie des sciences : les cosmos

Une autre notion disputée dans cet ouvrage comme dans l'oeuvre de Bruno Latour est celle de la négation de la "révolution scientifique" comme récit hagiographique trompeur, la sainteté de la Science étant destinée à remplacer les vieilles doctrines religieuses (c'était, on se le rappelle, le projet politique d'Auguste Comte,  celui de remplacer le christianisme par la science positive) Cette notion est bordée par la notion de "cosmos" auquel se serait substituée la notion d'univers : grâce à la "révolution scientifique et technique", le cosmos borné des ancêtres religieux, confondant allègrement les opinions et les faits serait remplacé par un "univers" sans véritable limite. Cela ferait des opinons et des religions un reste désormais sans objet : illusion dangereuse, nous averti l'auteur ! D'autant que la réalité contemporaine utilise plutot la notion de "multivers", mis en exergue par Hugh Everett. Et que la multiplicité des mondes ainsi recréée fait un retour paradoxal à l'antique cosmos par une de ces ruses dont l'histoire est parait il friande...


Cartographie des controverses : du concept aux solutions techniques

Mais l'ouvrage n'est absoluement pas dénuée de visée pratique. La science et les techniques sont aujourd'hui menacées, contestées, discutées et disputées. Les OGM ne sont ils bon qu'a l'enrichissement des firmes semancières et à la vanité de quelques sommitées ayant remplacé le labo par le studio de télévision ? Les nano technologies ne sont elles pas un péril pour la liberté individuelle et pour la santé publique ? Enfin, "the last but not least", le réchauffement climatique n'est il pas l'exemple d'une querelle scientifique et politique impossible ? Face à la montée des contestations, Bruno Latour lui même ne cache pas sa perplexité. Et il propose de prolonger la classique "analyse de controverse" (qu'il pratique depuis plus de 20 ans) par une "cartographie des controverses" qui permet à partir d'éléments nouveaux (outils maintenant disponible sur Internet) de décrire finement tous les développements, tous les détours, toutes les compositions d'un probléme "scientifique, technique, politique, humain". Partant  du constat d'une crise d'autorité du modéle qui confie  à des "Experts" la mainmise  sur  ces problémes complexes , il entend  proposer des outils simples et efficaces  pour  dérouler l'écheveau  complexe des causes et des effets, des intérêts et des passions.

Mais ces outils ne semblent pas non plus d'une efficacité prouvée. Certes, il permettent de mieux comprendre les différents tenants d'un problème, mais non de pouvoir "trancher le noeud gordien". Puisqu'il faut bien qu'à un moment ou à un autre, le lien soit tranché....

Source : Marc TERTRE/MEDIAPART

mercredi 6 juillet 2011

SITUATION DE TRANSHUMANCE (RAGE AGAINST THE MACHINE)

C’est sur les conseils du démon que l’on inventa l’école. L’enfant aime la nature, on le parqua dans des salles closes. L’enfant aime voir son activité servir à quelque chose on fit en sorte qu’elle n’eut aucun but. Il aime bouger on l’oblige à se tenir immobile, il aime manier des objets, on le mit en contact avec des seules idées, il aime parler, on le contraignit au silence, il voudrait s’enthousiasmer, on invente les punitions. Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais appris sans l’école, ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. (Alexander Sutherland Neill)

mardi 22 février 2011

¿Nos da miedo pensar? (Bertrand Russell)

Principles of Social Reconstruction (1916)


El ser humano teme al pensamiento más de lo que teme a cualquier otra cosa del mundo; más que la ruina, incluso más que la muerte.
El pensamiento es subversivo y revolucionario, destructivo y terrible. El pensamiento es despiadado con los privilegios, las instituciones establecidas y las costumbres cómodas; el pensamiento es anárquico y fuera de la ley, indiferente a la autoridad, descuidado con la sabiduría del pasado.
Pero si el pensamiento ha de ser posesión de muchos, no el privilegio de unos cuantos, tenemos que habérnoslas con el miedo. Es el miedo el que detiene al ser humano, miedo de que sus creencias entrañables no vayan a resultar ilusiones, miedo de que las instituciones con las que vive no vayan a resultar dañinas, miedo de que ellos mismos no vayan a resultar menos dignos de respeto de lo que habían supuesto.
¿Va a pensar libremente el trabajador sobre la propiedad? Entonces, ¿qué será de nosotros, los ricos? ¿Van a pensar libremente los muchachos y las muchachas jóvenes sobre el sexo? Entonces, ¿qué será de la moralidad? ¿Van a pensar libremente los soldados sobre la guerra? Entonces, ¿qué será de la disciplina militar?
¡Fuera el pensamiento!
¡Volvamos a los fantasmas del prejuicio, no vayan a estar la propiedad, la moral y la guerra en peligro!
Es mejor que los seres humanos sean estúpidos, amorfos y tiránicos, antes de que sus pensamientos sean libres. Puesto que si sus pensamientos fueran libres, seguramente no pensarían como nosotros. Y este desastre debe evitarse a toda costa.
Así arguyen los enemigos del pensamiento en las profundidades inconscientes de sus almas. Y así actúan en las iglesias, escuelas y universidades.

Bertrand Russell: «Principios de Reconstrucción Social». Londres (1916)