"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille

« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.


« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP

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dimanche 12 février 2012

VIVRE VITE ET NE RIEN VOIR. PERDRE SON TEMPS ET ÉCOUTER.

"TU PORTERAS TON ATTENTION
LÀ OÙ L'ON T'AURAS DIT DE LE FAIRE"
"LE RESTE EST UNE PERTE DE TEMPS"
(LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE)
Par un froid matin de janvier, un homme assis à une station de métro de Washington DC a commencé à jouer du violon. Il a joué six morceaux de Bach pendant environ 45 minutes. Pendant ce temps, comme c’était l'heure de pointe, il a été calculé que des milliers de personnes sont passées par la gare, la plupart d'entre elles en route vers leur travail.

Trois minutes se sont écoulées et un homme d'âge moyen a remarqué qu’un musicien jouait. Il a ralenti son rythme, a arrêté pendant quelques secondes, puis se précipita pour respecter son horaire.

Une minute plus tard, le violoniste a reçu son premier dollar : une femme jeta de l'argent dans l’étui de son violon et, sans s'arrêter, a continué son chemin.

Quelques minutes plus tard, quelqu'un s'adossa au mur pour l'écouter, mais l'homme a regardé sa montre et a repris sa marche. Il est clair qu'il était en retard au travail.

Celui qui a apporté le plus d'attention à la prestation musicale fut un petit garçon de 3 ans. Sa mère l’a tiré vers elle, mais le garçon s’est arrêté pour regarder le violoniste.

Enfin, la mère a tiré plus fort et l'enfant a continué à marcher en tournant la tête tout le temps. Cette action a été répétée par plusieurs autres enfants. Tous les parents, sans exception, les forcèrent à aller de l'avant.

Durant les 45 minutes que le musicien a jouées, seulement 6 personnes se sont arrêtées et sont restées à l’écouter pendant un certain temps. Environ 20 lui ont donné l'argent, mais ont continué à marcher à leur rythme. Il a recueilli 32 $. Quand il finit de jouer et que le silence se fit, personne ne le remarqua. Personne n'applaudit, ni n’exprima quelque reconnaissance que ce soit.

Personne ne savait cela, mais le violoniste était Joshua Bell, l'un des meilleurs musiciens au monde. Il a joué l'un des morceaux les plus difficiles jamais écrits, avec un violon une valeur de 3,5 millions de dollars.

Deux jours avant sa prestation dans le métro, Joshua Bell joua à guichets fermés dans un théâtre de Boston où un siège coûtait en moyenne 100 $.

C'est une histoire vraie. Joshua Bell joua effectivement incognito dans la station de métro

Cet événement a été organisé par le Washington Post dans le cadre d'une expérience sur la perception, les goûts et les priorités des gens. L’énoncé était: dans un environnement commun à une heure inappropriée sommes-nous en mesure de percevoir la beauté?

Nous arrêtons-nous pour l'apprécier? Savons-nous reconnaître le talent dans un contexte inattendu?
L'une des conclusions possibles de cette expérience pourrait être: si nous n'avons pas un moment pour nous arrêter et écouter un des meilleurs musiciens au monde jouant la meilleure musique jamais écrite, combien d'autres choses manquons-nous ?

lundi 3 octobre 2011

Retour de Vitesse


Pour sortir des impasses du temps présent, il faut faire retour sur certaines bifurcations, pensé la question de la vitesse et de la vitesse articulée à l’espace.

La rencontre intellectuelle entre Bergson, le penseur du temps, et Einstein, le théoricien de la relativité généralisée, n’a débouché sur rien. Une rencontre ratée. Bergson a compris la relativité du temps vécu, mais pas du point de vue physique.

Ce manque de pensée empêche de voir que nous sommes dans un espace fractal : lorsque la compression temporelle a lieu, la fragmentation de la société qui en est issue fini par créer une société fractale, ce que renforce la globalisation spatiale et temporelle du monde.
Emportés par la vitesse, nous ne voyons plus que devant nous (et encore pas très loin !). Pour regarder les côtés, faire des liens, dans une société complexe, il faut aller plus lentement ou avoir d’autres instruments. Les animaux ont des yeux qui permettent de regarder sur les côtés pour prévenir d’où vient le danger. Et nous ? On peut, comme le propose Paul Virilio, construire une philosophie politique de la vitesse, qui prenne le relais de la philosophie politique de la richesse fondée par les physiocrates et qui demeure encore aujourd’hui la matrice de notre pensée politique, mais complètement décalée de la réalité.
On peut aussi développer notre intelligence sensible, l'instrument c'est "le Wild" (j'emprunte à Thoreau), cultiver le feu souterrain qui coule dans la nature (et donc en nous). Qui jamais ne s'éteint, qui toujours travaille. Une faculté d'incarnation qui puise dans nos ressources anthropologiques, s'ensauvager dans l'étrangement de la chair, ouverture vers d'autres logiques.

C'est une intelligence du temps, des cycles, et des transformations, c'est une communion, et le pendant nécessaire au déficit d'une intelligence rationnelle, séquentielle, qui ayant déclenché un processus a fini par être asphyxié par lui, contraint à vivre dans l'inflation de réalités dites augmentées comme autant de cages à lapins où enfermer la conscience. Le temps du Temps demande notre écoute. On ne cultive pas le sillon en augmentant les doses, mais en aimant le cultiver.

vendredi 4 mars 2011

Le désir asphyxié, ou comment l’industrie culturelle détruit l’individu

Une fable a dominé les dernières décennies, leurrant pour une grande part pensées politiques et philosophies. Contée après 1968, elle voulait faire croire que nous étions entrés dans l’âge du « temps libre », de la « permissivité » et de la « flexibilité » des structures sociales, bref, dans la société des loisirs et de l’individualisme. Théorisé sous le nom de société postindustrielle, ce conte influença et fragilisa notablement la philosophie « postmoderne ». Il inspira les sociaux-démocrates, prétendant que nous étions passés de l’époque des masses laborieuses et consommatrices de l’âge industriel au temps des classes moyennes ; le prolétariat serait en voie de disparition.
Non seulement, chiffres en main, ce dernier demeure très important, mais, les employés s’étant largement prolétarisés (asservis à un dispositif machinique qui les prive d’initiatives et de savoirs professionnels), il a crû. Quant aux classes moyennes, elles sont paupérisées. Parler de développement des loisirs – au sens d’un temps libre de toute contrainte, d’une « disponibilité absolue », dit le dictionnaire – n’a rien d’évident, car ils n’ont pas du tout pour fonction de libérer le temps individuel, mais bien de le contrôler pour l’hypermassifier : ce sont les instruments d’une nouvelle servitude volontaire. Produits et organisés par les industries culturelles et de programmes, ils forment ce que Gilles Deleuze a appelé les sociétés de contrôle. Celles-ci développent ce capitalisme culturel et de services qui fabrique de toutes pièces des modes de vie, transforme la vie quotidienne dans le sens de ses intérêts immédiats, standardise les existences par le biais de « concepts marketing ». Ainsi celui de lifetime value, qui désigne la valeur économiquement calculable du temps de vie d’un individu, dont la valeur intrinsèque est désingularisée et désindividuée.
Le marketing, comme le vit Gilles Deleuze, est bien devenu l’« instrument du contrôle social ». La société prétendument « postindustrielle » est au contraire devenue hyperindustrielle. Loin de se caractériser par la domination de l’individualisme, l’époque apparaît comme celle du devenir grégaire des comportements et de la perte d’individuation généralisée.
Le concept de perte d’individuation introduit par Gilbert Simondon exprimait ce qui advint au XIXe siècle à l’ouvrier soumis au service de la machine-outil : il perdit son savoir-faire et par là même son individualité, se trouvant ainsi réduit à la condition de prolétaire. Désormais, c’est le consommateur qui est standardisé dans ses comportements par le formatage et la fabrication artificielle de ses désirs. Il y perd ses savoir-vivre, c’est-à-dire ses possibilités d’exister. Les remplacent les normes substituées par les marques aux modes que Mallarmé considérait dans La Dernière Mode. « Rationnellement » promues par le marketing, celles-ci ressemblent aux « bibles » qui régissent le fonctionnement des commerces de restauration rapide franchisés, et auxquelles les concessionnaires doivent se conformer à la lettre, sous peine de rupture de contrat, voire de procès.
Cette privation d’individuation, donc d’existence, est dangereuse à l’extrême : Richard Durn, l’assassin de huit des membres du conseil municipal de Nanterre, confiait à son journal intime qu’il avait besoin de « faire du mal pour, au moins une fois dans [sa] vie, avoir le sentiment d’exister ».
Freud écrivait en 1930 que, bien que doté par les technologies industrielles des attributs du divin, et « pour autant qu’il ressemble à un dieu, l’homme d’aujourd’hui ne se sent pas heureux ». C’est exactement ce que la société hyperindustrielle fait des êtres humains : les privant d’individualité, elle engendre des troupeaux d’êtres en mal d’être ; et en mal de devenir, c’est-à-dire en défaut d’avenir. Ces troupeaux inhumains auront de plus en plus tendance à devenir furieux – Freud, dans Psychologie des foules et analyse du moi, esquissait dès 1920 l’analyse de ces foules tentées de revenir à l’état de horde, habitées par la pulsion de mort découverte dans Au-delà du principe de plaisir, et que Malaise dans la civilisation revisite dix ans plus tard, tandis que totalitarisme, nazisme et antisémitisme se répandent à travers l’Europe.
Bien qu’il parle de la photographie, du gramophone et du téléphone, Freud n’évoque ni la radio ni – et c’est plus étrange – ce cinéma utilisé par Mussolini et Staline, puis par Hitler, et dont un sénateur américain disait aussi, dès 1912, « trade follows films » (le marché suit les films). Il ne semble pas non plus imaginer la télévision, dont les nazis expérimentent une émission publique dès avril 1935. Au même moment, Walter Benjamin analyse ce qu’il nomme le « narcissisme de masse » : la prise de contrôle de ces médias par les pouvoirs totalitaires. Mais il ne semble pas mesurer plus que Freud la dimension fonctionnelle – dans tous les pays, y compris démocratiques – des industries culturelles naissantes.

Misère psychologique de masse

En revanche, Edward Bernays, double neveu de Freud, les théorise. Il exploite les immenses possibilités de contrôle de ce que son oncle appelait l’« économie libidinale ». Et de développer les relations publiques, techniques de persuasion inspirées des théories de l’inconscient qu’il mettra au service du fabricant de cigarettes Philip Morris vers 1930 – au moment où Freud sent monter en Europe la pulsion de mort contre la civilisation. Mais ce dernier ne s’intéresse pas à ce qui se passe alors en Amérique. Sauf à travers une très étrange remarque. Il se dit d’abord obligé d’« envisager aussi le danger suscité par un état particulier qu’on peut appeler “la misère psychologique de masse”, et qui est créé principalement par l’identification des membres d’une société les uns aux autres, alors que certaines personnalités à tempérament de chef ne parviennent pas (…) à jouer ce rôle important qui doit leur revenir dans la formation d’une masse ». Puis il affirme que « l’état actuel de l’Amérique fournirait une bonne occasion d’étudier ce redoutable préjudice porté à la civilisation. Je résiste à la tentation de me lancer dans la critique de la civilisation américaine, ne tenant pas à donner l’impression de vouloir moi-même user de méthodes américaines ».
Il faudra attendre la dénonciation par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer du « mode de vie américain » pour que la fonction des industries culturelles soit véritablement analysée, au-delà de la critique des médias apparue dès les années 1910 avec Karl Kraus.
Même si leur analyse reste insuffisante ( ils reprennent à leur compte la pensée kantienne du schématisme sans voir que les industries culturelles requièrent justement la critique du kantisme), ils comprennent que les industries culturelles forment un système avec les industries tout court, dont la fonction consiste à fabriquer les comportements de consommation en massifiant les modes de vie. Il s’agit d’assurer ainsi l’écoulement des produits sans cesse nouveaux engendrés par l’activité économique, et dont les consommateurs n’éprouvent pas spontanément le besoin. Ce qui entraîne un danger endémique de surproduction et donc de crise économique, qu’il n’est possible de combattre – sauf à remettre en cause l’ensemble du système – que par le développement de ce qui constitue, aux yeux d’Adorno et de Horkheimer, la barbarie même.
Après la seconde guerre mondiale, le relais de la théorie des relations publiques fut pris par la « recherche sur les mobiles », destinée à absorber l’excédent de production au moment du retour de la paix – évalué à 40 %. En 1955, une agence de publicité écrit : ce qui fait la grandeur de l’Amérique du Nord, « c’est la création de besoins et de désirs, la création du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé » – la promotion de goûts suppose ainsi celle du dégoût, qui finit par affecter le goût lui-même. Le tout fait appel au « subconscient », notamment pour surmonter les difficultés rencontrées par les industriels à pousser les Américains à acheter ce que leurs usines pouvaient produire.
Dès le XIXe siècle, en France, des organes facilitaient l’adoption des produits industriels qui venaient bouleverser les modes de vie et luttaient contre les résistances suscitées par ces bouleversements : ainsi la création de la « réclame » par Emile de Girardin et celle de l’information par Louis Havas. Mais il faudra attendre l’apparition des industries culturelles (cinéma et disque) et surtout de programmes (radio et télévision) pour que se développent les objets temporels industriels. Ceux-ci permettront un contrôle intime des comportements individuels, transformés en comportements de masse – alors que le spectateur, isolé devant son appareil, à la différence du cinéma, conserve l’illusion d’un loisir solitaire.
C’est aussi le cas de l’activité dite « de temps libre » qui, dans la sphère hyperindustrielle, étend à toutes les activités humaines le comportement compulsif et mimétique du consommateur : tout doit devenir consommable – éducation, culture et santé, aussi bien que lessives et chewing-gums. Mais l’illusion qu’il faut donner pour y parvenir ne peut que provoquer frustrations, discrédits et instincts de destruction. Seul devant mon téléviseur, je peux toujours me dire que je me comporte individuellement ; mais la réalité est que je fais comme les centaines de milliers de téléspectateurs qui regardent le même programme.
Les activités industrielles étant devenues planétaires, elles entendent réaliser de gigantesques économies d’échelle, et donc, par des technologies appropriées, contrôler et homogénéiser les comportements : les industries de programmes s’en chargent à travers les objets temporels qu’elles achètent et diffusent afin de capter le temps des consciences qui forment leurs audiences et qu’elles vendent aux annonceurs.
Un objet temporel – mélodie, film ou émission de radio – est constitué par le temps de son écoulement, ce qu’Edmund Husserl nomme un flux. C’est un objet qui passe. Il est constitué par le fait que, comme les consciences qu’il unit, il disparaît à mesure qu’il apparaît. Avec la naissance de la radio civile (1920), puis les premiers programmes de télévision (1947), les industries de programmes produisent des objets temporels qui coïncident dans le temps de leur écoulement avec l’écoulement du temps des consciences dont ils sont les objets. Cette coïncidence permet à la conscience d’adopter le temps de ces objets temporels. Les industries culturelles contemporaines peuvent ainsi faire adopter aux masses de spectateurs le temps de la consommation du dentifrice, du soda, des chaussures, des autos, etc. C’est presque exclusivement ainsi que l’industrie culturelle se finance.
Or une « conscience » est essentiellement une conscience de soi  : une singularité. Je ne peux dire je que parce que je me donne mon propre temps. Enormes dispositifs de synchronisation, les industries culturelles, en particulier la télévision, sont des machines à liquider ce soi dont Michel Foucault étudiait les techniques à la fin de sa vie. Lorsque des dizaines, voire des centaines de millions de téléspectateurs regardent simultanément le même programme en direct, ces consciences du monde entier intériorisent les mêmes objets temporels. Et si, tous les jours, elles répètent, à la même heure et très régulièrement, le même comportement de consommation audiovisuelle parce que tout les y pousse, ces « consciences » finissent par devenir celle de la même personne – c’est-à-dire personne. L’inconscience du troupeau libère un fonds pulsionnel que ne lie plus un désir – car celui-ci suppose une singularité.
Au cours des années 1940, l’industrie américaine met en œuvre des techniques de marketing qui ne cesseront de s’intensifier, productrices d’une misère symbolique, mais aussi libidinale et affective. Cette dernière conduit à la perte de ce que j’ai appelé le narcissisme primordial.
La fable postindustrielle ne comprend pas que la puissance du capitalisme contemporain repose sur le contrôle simultané de la production et de la consommation réglant les activités des masses. Elle repose sur l’idée fausse que l’individu est ce qui s’oppose au groupe. Simondon a parfaitement montré, au contraire, qu’un individu est un processus, qui ne cesse de devenir ce qu’il est. Il ne s’individue psychiquement que collectivement. Ce qui rend possible cette individuation intrinsèquement collective, c’est que l’individuation des uns et des autres résulte de l’appropriation par chaque singularité de ce que Simondon appelle un fonds préindividuel commun à toutes ces singularités.
Héritage issu de l’expérience accumulée des générations, ce fonds préindividuel ne vit que dans la mesure où il est approprié singulièrement et ainsi transformé par la participation des individus psychiques qui partagent ce fonds commun. Mais ce n’est un partage que s’il est à chaque fois individué, et il ne l’est que dans la mesure où il est singularisé. Le groupe social se constitue comme composition d’une synchronie, dans la mesure où il se reconnaît dans un héritage commun, et d’une diachronie, dans la mesure où il rend possible et légitime l’appropriation singulière du fonds préindividuel par chaque membre du groupe.
Les industries de programmes tendent au contraire à opposer synchronie et diachronie, en vue de produire une hypersynchronisation qui rend tendanciellement impossible l’appropriation singulière du fonds préindividuel constitué par les programmes. La grille de ceux-ci se substitue à ce qu’André Leroi-Gourhan nomme les programmes socio-ethniques : elle est conçue pour que mon passé vécu tende à devenir le même que celui de mes voisins, et que nos comportements se grégarisent.
Un je est une conscience consistant en un flux temporel de ce que Husserl appelle des rétentions primaires, c’est-à-dire ce que la conscience retient dans le maintenant du flux en quoi elle consiste. Ainsi la note qui résonne dans une note se présente à ma conscience comme le point de passage d’une mélodie : la note précédente y reste présente, maintenue dans et par le maintenant ; elle constitue la note qui la suit en formant avec elle un rapport, l’intervalle. Comme phénomènes que je reçois et que je produis (une mélodie que je joue ou entends, une phrase que je prononce ou entends, des gestes ou des actions que j’accomplis ou que je subis, etc.), ma vie consciente consiste essentiellement en de telles rétentions.
Or ces dernières sont des sélections : je ne retiens pas tout ce qui peut être retenu. Dans le flux de ce qui apparaît, la conscience opère des sélections qui sont les rétentions en propre : si j’écoute deux fois de suite la même mélodie, ma conscience de l’objet change. Et ces sélections se font à travers les filtres en quoi consistent les rétentions secondaires, c’est-à-dire les souvenirs de rétentions primaires antérieures, que conserve la mémoire et qui constituent l’expérience.

Ruine du narcissisme

La vie de la conscience consiste en de tels agencements de rétentions primaires, filtrées par des rétentions secondaires, tandis que les rapports des rétentions primaires et secondaires sont surdéterminés par les rétentions tertiaires : les objets supports de mémoire et les mnémotechniques, qui permettent d’enregistrer des traces – notamment ces photogrammes, phonogrammes, cinématogrammes, vidéogrammes et technologies numériques formant l’infrastructure technologique des sociétés de contrôle à l’époque hyperindustrielle.
Les rétentions tertiaires sont ce qui, tel l’alphabet, soutient l’accès aux fonds préindividuels de toute individuation psychique et collective. Il en existe dans toutes les sociétés humaines. Elles conditionnent l’individuation, comme partage symbolique, que rend possible l’extériorisation de l’expérience individuelle dans des traces. Lorsqu’elles deviennent industrielles, les rétentions tertiaires constituent des technologies de contrôle qui altèrent fondamentalement l’échange symbolique : reposant sur l’opposition des producteurs et des consommateurs, elles permettent l’hypersynchronisation des temps des consciences.
Celles-ci sont donc de plus en plus tramées par les mêmes rétentions secondaires et tendent à sélectionner les mêmes rétentions primaires, et à toutes se ressembler : elles constatent dès lors qu’elles n’ont plus grand-chose à se dire et se rencontrent de moins en moins. Les voilà renvoyées vers leur solitude, devant ces écrans où elles peuvent de moins en moins consacrer leur temps au loisir – un temps libre de toute contrainte.
Cette misère symbolique conduit à la ruine du narcissisme et à la débandade économique et politique. Avant d’être une pathologie, le narcissisme conditionne la psyché, le désir et la singularité. Or, si, avec le marketing, il ne s’agit plus seulement de garantir la reproduction du producteur, mais de contrôler la fabrication, la reproduction, la diversification et la segmentation des besoins du consommateur, ce sont les énergies existentielles qui assurent le fonctionnement du système, comme fruits du désir des producteurs, d’un côté, et des consommateurs, de l’autre : le travail, comme la consommation, représente de la libido captée et canalisée. Le travail en général est sublimation et principe de réalité. Mais le travail industriellement divisé apporte de moins en moins de satisfaction sublimatoire et narcissique, et le consommateur dont la libido est captée trouve de moins en moins de plaisir à consommer : il débande, transi par la compulsion de répétition.
Dans les sociétés de modulation que sont les sociétés de contrôle, il s’agit de conditionner, par les technologies audiovisuelles et numériques de l’aisthesis, les temps de conscience et l’inconscient des corps et des âmes. A l’époque hyperindustrielle, l’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe. Tous ne sont pas également exposés au contrôle. Nous vivons en cela une fracture esthétique, comme si le nous se divisait en deux. Mais nous tous, et nos enfants plus encore, sommes voués à ce sombre destin – si rien n’est fait pour le surmonter.
Le XXe siècle a optimisé les conditions et l’articulation de la production et de la consommation, avec les technologies du calcul et de l’information pour le contrôle de la production et de l’investissement, et avec les technologies de la communication pour le contrôle de la consommation et des comportements sociaux, y compris politiques. A présent, ces deux sphères s’intègrent. Le grand leurre n’est plus, cette fois, la « société de loisir », mais la « personnalisation » des besoins individuels. Félix Guattari parlait de production de « dividuels », c’est-à-dire de particularisation des singularités par leur soumission aux technologies cognitives.
Ces dernières permettent – à travers l’identification des utilisateurs (users profiling) et autres méthodes de contrôle nouvelles – un usage subtil du conditionnement en appelant à Pavlov autant qu’à Freud. Ainsi les services qui incitent les lecteurs d’un livre à lire d’autres livres lus par d’autres lecteurs de ce même livre. Ou encore les moteurs de recherche qui valorisent les références les plus consultées, renforçant du coup leur consultation et constituant un Audimat extrêmement raffiné.
Désormais, les mêmes machines numériques pilotent, par les mêmes normes et standards, les processus de production des machines programmables des ateliers flexibles télécommandés par le contrôle à distance (remote control), la robotique industrielle étant devenue essentiellement une mnémotechnologie de production. Mises au service du marketing, elles organisent aussi la consommation. Contrairement à ce que croyait Benjamin, il ne s’agit pas du déploiement d’un narcissisme de masse, mais à l’inverse de la destruction massive du narcissisme individuel et collectif par la constitution des hypermasses. C’est à proprement parler la liquidation de l’exception, c’est-à-dire la grégarisation généralisée induite par l’élimination du narcissisme primordial.
A des imaginaires collectifs et à des histoires individuelles noués au sein de processus d’individuation psychique et collective, les objets temporels industriels substituent des standards de masse, qui tendent à réduire la singularité des pratiques individuelles et leurs caractères d’exceptions. Or l’exception est la règle, mais une règle qui n’est jamais formulable : elle ne se vit qu’en l’occurrence d’une irrégularité, c’est-à-dire n’est pas formalisable et calculable par un appareil de description régulier applicable à tous les cas que constituent les différentes occurrences de cette règle par défaut. C’est pourquoi, pendant longtemps, elle a renvoyé à Dieu, qui constituait l’irrégulier absolu comme règle de l’incomparabilité des singularités. Ces dernières, le marketing les rend comparables et catégorisables en les transformant en particularités vides, réglables par la captation à la fois hypermassifiée et hypersegmentée des énergies libidinales.
Il s’agit d’une économie anti-libidinale : n’est désirable que ce qui est singulier et à cet égard exceptionnel. Je ne désire que ce qui m’apparaît exceptionnel. Il n’y a pas de désir de la banalité, mais une compulsion de répétition qui tend vers la banalité : la psyché est constituée par Eros et Thanatos, deux tendances qui composent sans cesse. L’industrie culturelle et le marketing visent le développement du désir de la consommation, mais, en fait, ils renforcent la pulsion de mort pour provoquer et exploiter le phénomène compulsif de la répétition. Par là, ils contrarient la pulsion de vie : en cela, et parce que le désir est essentiel à la consommation, ce processus est autodestructeur, ou, comme dirait Jacques Derrida, auto-immunitaire.
Je ne puis désirer la singularité de quelque chose que dans la mesure où cette chose est le miroir d’une singularité que je suis, que j’ignore encore et que cette chose me révèle. Mais, dans la mesure où le capital doit hypermassifier les comportements, il doit aussi hypermassifier les désirs et grégariser les individus. Dès lors, l’exception est ce qui doit être combattu, ce que Nietzsche avait anticipé en affirmant que la démocratie industrielle ne pouvait qu’engendrer une société-troupeau. C’est là une véritable aporie de l’économie politique industrielle. Car la mise sous contrôle des écrans de projection du désir d’exception induit la tendance dominante thanatologique, c’est-à-dire entropique. Thanatos, c’est la soumission de l’ordre au désordre. En tant que nirvana, Thanatos tend à l’égalisation de tout : c’est la tendance à la négation de toute exception – celle-ci étant ce que le désir désire.

            Bernard STIEGLER, Contribution à une théorie de la consommation de masse, 2004.

jeudi 10 février 2011

A quoi sert le prix Arts & Science de Minatec, par l’un de ses lauréats

SOURCE : PMO
par François Graner
Ce texte fait suite à un prix que j’ai reçu pour une collaboration arts & science, et à la brochure que les organisateurs du prix en ont tirée. C’est une opinion personnelle. Elle n’engage aucune autre partie concernée par ce prix, ni Pièces et Main d’Œuvre, dont je ne fais pas partie. Ayant constaté concrètement la disproportion de moyens dont disposent ceux qui promeuvent les nanotechnologies et ceux qui les mettent en question, je souhaite utiliser l’argent de ce prix pour aider Pièces et Main d’Œuvre à diffuser une réflexion sur le sujet.

Pour lire le texte intégral, cliquer sur l’icône ci-dessous.

Lire aussi à ce sujet Les rats de l’art, ou comment nous avons pris 2000 € au Commissariat à l’énergie atomique.

Prix ARTS
Version prête à circuler
150.8 ko

samedi 1 janvier 2011





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DÉFINITION DE LA CULTURE:




"L'AMÉLIORATION DU MILIEU NATUREL PAR UN LABEUR MÉTHODIQUE,



EN VUE D'EN TIRER DES FRUITS".



(DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE)



mercredi 17 novembre 2010

La CIA était le mécéne de l’expressionnisme abstrait

http://www.usc.edu/schools/annenberg/asc/projects/comm544/library/images/758bg.jpg   
source>>Voltairenet

L’historienne Frances Stonor Saunders, auteure de l’étude magistrale sur la CIA et la guerre froide culturelle, vient de publier dans la presse britannique de nouveaux détails sur le mécénat secret de la CIA en faveur de l’expressionnisme abstrait. Manlio Dinucci s’interroge sur l’usage idéologique de ce courant artistique.

Jackson Pollock, Robert Motherwell, Willem de Kooning, Mark Rothko. Rien moins que faciles et même scandaleux, les maîtres de l’expressionnisme abstrait. Un courant vraiment à contre-courant, une claque aux certitudes de la société bourgeoise, qui pourtant avait derrière elle le système lui-même.

Car, pour la première fois, se confirme une rumeur qui circule depuis des années : la CIA finança abondamment l’expressionnisme abstrait. Objectif des services secrets états-uniens : séduire les esprits des classes qui étaient loin de la bourgeoisie dans les années de la Guerre froide. Ce fut justement la CIA qui organisa les premières grandes expositions du New American Painting, qui révéla les œuvres de l’expressionnisme abstrait dans toutes les principales villes européennes :Modern Art in the United States (1955) et Masterpieces of the Twentieth Century (1952).

Donald Jameson, ex fonctionnaire de l’agence, est le premier à admette que le soutien aux artistes expressionnistes entrait dans la politique de la « laisse longue » (long leash) en faveur des intellectuels. Stratégie raffinée : montrer la créativité et la vitalité spirituelle, artistique et culturelle de la société capitaliste contre la grisaille de l’Union soviétique et de ses satellites. Stratégie adoptée tous azimuts. Le soutien de la CIA privilégiait des revues culturelles commeEncounterPreuves et, en Italie, Tempo presente de Silone et Chiaramonte. Et des formes d’art moins bourgeoises comme le jazz, parfois, et, justement, l’expressionnisme abstrait.

Les faits remontent aux années 50 et 60, quand Pollock et les autres représentants du courant n’avaient pas bonne presse aux USA. Pour donner une idée du climat à leur égard, rappelons la boutade du président Truman : « Si ça c’est de l’art, moi je suis un hottentot ». Mais le gouvernement US, rappelle Jameson, se trouvait justement pendant ces années-là dans la position difficile de devoir promouvoir l’image du système états-unien et en particulier d’un de ses fondements, le cinquième amendement, la liberté d’expression, gravement terni après la chasse aux sorcières menée par le sénateur Joseph McCarthy, au nom de la lutte contre le communisme.

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  • Jackson Pollock, The She-Wolf (1943)

  • Pour ce faire, il était nécessaire de lancer au monde un signal fort et clair de sens opposé au maccarthysme. Et on en chargea la CIA, qui, dans le fond, allait opérer en toute cohérence. Paradoxalement en effet, à cette époque l’agence représentait une enclave « libérale » dans un monde qui virait décisivement à droite. Dirigée par des agents et salariés le plus souvent issus des meilleures universités, souvent eux-mêmes collectionneurs d’art, artistes figuratifs ou écrivains, les fonctionnaires de la CIA représentaient le contrepoids des méthodes, des conventions bigotes et de la fureur anti-communiste du FBI et des collaborateurs du sénateur McCarthy.

    « L’expressionnisme abstrait, je pourrais dire que c’est justement nous à la CIA qui l’avons inventé —déclare aujourd’hui Donald Jameson, cité par le quotidien britannique The Independent [1]— après avoir jeté un œil et saisi au vol les nouveautés de New York, à Soho. Plaisanteries à part, nous avions immédiatement vu très clairement la différence. L’expressionnisme abstrait était le genre d’art idéal pour montrer combien était rigide, stylisé, stéréotypé le réalisme socialiste de rigueur en Russie. C’est ainsi que nous décidâmes d’agir dans ce sens ».

    Mais Pollock, Motherwell, de Kooning et Rothko étaient-ils au courant ? « Bien sûr que non —déclare immédiatement Jameson— les artistes n’étaient pas au courant de notre jeu. On doit exclure que des gens comme Rothko ou Pollock aient jamais su qu’ils étaient aidés dans l’ombre par la CIA, qui cependant eut un rôle essentiel dans leur lancement et dans la promotion de leurs œuvres. Et dans l’augmentation vertigineuse de leurs gains ».

    Traduction Marie-Ange Patrizio

    Pour en savoir plus, le lecteur se reportera à l’étude initiale de Frances Stonor Saunders, dans le chapitre 16 de son livre Who Paid the Piper ? (Granta Books, 1999), version française traduite par Delphine Chevalier sous le titre Qui mène la danse ? (Denoël, 2003).

    [1] « Modern art was CIA ’weapon’ », par Frances Stonor Saunders, The Independent, 22 octobre 2010.

mardi 16 novembre 2010

La Guerre Cognitive III

De la légitimité de la guerre cognitive
Auteur
Christian Harbulot
Directeur de l’École de guerre économique (EGE), directeur associé du cabinet de conseils en intelligence économique C4iFR. 

De la chute du mur de Berlin à la défaite de Saddam Hussein, la perception de la guerre a évolué dans une partie du monde. En effet, les populations d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie exercent une pression croissante sur leurs gouvernements afin de limiter au maximum les engagements militaires classiques. Ce refus de la guerre traditionnelle est souvent décrit comme la résultante des multiples traumatismes psychologiques engendrés par les guerres du XXe siècle. En revanche, on parle moins de l’évolution des processus par lesquels un acteur accroît sa puissance sur la scène internationale, évolution qui influe sur la nature même des conflits majeurs. Contrairement aux siècles précédents, en ce début de XXIe siècle la dynamique de puissance ne s’articule plus autour de l’alternative entre la conquête territoriale et la conquête commerciale.

Suite à la disparition des empires coloniaux et des blocs idéologiques, les enjeux territoriaux ont cessé d’avoir l’importance stratégique qu’ils avaient par le passé, mise en exergue par la succession des conflits entre États-nations qui a dominé la géopolitique mondiale depuis le XVIIIe siècle. Par ailleurs, la conquête commerciale a subi quant à elle une évolution notable avec l’instauration d’une Organisation mondiale du commerce (OMC). Cependant, cette pacification apparente des relations internationales dans le monde développé n’a pas effacé les rapports de force entre puissances. Elle contribue à en accélérer la mutation.
 
MESURER LA PUISSANCE DANS L’APRÈS-GUERRE FROIDE

Depuis 1989, les États-Unis sont présentés comme la seule superpuissance en raison de leur écrasante supériorité militaire, de leur contrôle des grands axes maritimes et aériens, du verrouillage qu’ils exercent sur le système financier international, de leur maîtrise des principales technologies clés et de leur influence sur la croissance économique mondiale. Or cette superpuissance est de plus en plus assimilée à un empire fragilisé par la faible marge de manœuvre dont il bénéficie lorsqu’il conduit des opérations militaires de grande envergure sur plusieurs théâtres d’opération. Mais qu’en est-il vraiment de la définition de la puissance en 2004 ? Si certains critères usuels restent d’actualité, comme la force militaire, l’influence géopolitique, l’accès aux sources d’énergie, la valeur de la monnaie nationale, le dynamisme industriel et la capacité d’innover dans les technologies de pointe, il en est d’autres qui appartiennent aux non-dits des relations entre dominant et dominés. Prenons l’exemple des relations entre les États-Unis et l’Europe occidentale : en cinquante ans de guerre froide, la notion de dépendance s’est progressivement substituée à celle d’indépendance qui était jusque-là l’expression la plus élémentaire de la volonté de puissance[1] . Le maillage stratégique imposé par les impératifs politico-militaires du pacte Atlantique contre le pacte de Varsovie a infléchi la réflexion sur le devenir de la puissance. À l’époque du mur de Berlin, la solidarité alliée l’emportait sur toute autre considération au nom de l’opposition essentielle à la menace soviétique. Dans un tel contexte, la grille de lecture ami/ennemi, définie antérieurement par le philosophe politique allemand Carl Schmitt[2], n’était pas assez exhaustive. Elle ne mettait pas l’accent sur l’émergence d’un nouveau type de rapport de force allié/adversaire[3], de nature non idéologique. Le cas exemplaire de l’industrie informatique illustre bien cette nuance fondamentale entre allié militaire et « adversaire économique ».Au début de la Ve République, le général de Gaulle a impulsé le plan Calcul[4] et soutenu le développement de la société Bull, cherchant à préserver l’indépendance de la France dans un secteur vital, destiné à un grand avenir. Son erreur est d’avoir conçu cette stratégie à partir du concept d’indépendance stratégique alors que la France était déjà entrée dans une situation de dépendance. De plus, les Américains développaient au même moment une stratégie de conquête du marché mondial qui dépassait largement le cadre de leurs propres besoins en équipements informatiques. Il s’agissait en réalité d’une politique d’accroissement de puissance visant plusieurs objectifs : préserver l’avance technologique du complexe militaro-industriel américain, créer un lien de dépendance durable vis-à-vis des alliés, dominer le secteur le plus avancé de l’industrie mondiale et prendre une avance décisive dans les technologies de l’information.

En revendiquant leur place de leaders mondiaux de l’information privée à la fin des années 1990, les États-Unis abattent leur jeu en matière d’information dominance. En Europe, cette revendication intempestive suscite une prise de conscience tardive de la nécessité de préserver des technologies dites de souveraineté. Mais ne s’agit-il pas déjà de batailles d’arrière-garde ? Face à une stratégie d’accroissement de puissance, la quête de l’autonomie décisionnelle est bien illusoire lorsque l’on a perdu le contrôle d’une partie de la société de l’information. L’Europe est notamment à la remorque des États-Unis dans les domaines clés de l’Internet, des technologies de l’information et de l’industrie du logiciel. De l’avis de collaborateurs européens qui travaillent dans les multinationales américaines spécialisées dans les technologies de l’information, les experts étatiques ont de plus en plus de difficultés à tenter d’éventuelles manœuvres de pénétration des systèmes nationaux du Vieux Continent à travers leur offre de produits et de services.
 

LA PROBLÉMATIQUE DE L’ACCROISSEMENT DE PUISSANCE
 
Le rapport allié/adversaire implique une relecture attentive du concept de puissance[5]. Celui-ci est à l’origine de nouvelles formes de domination plus insidieuses et moins conflictuelles que la domination militaire ou la conquête territoriale. La volonté de suprématie et donc de créer une dépendance du reste du monde envers soi peut se réaliser par des moyens coopératifs ou compétitifs. Un certain nombre d’offensives orchestrées dans le champ économique n’est plus revendiqué depuis longtemps : encerclement de marchés par les normes comptables, noyautage des appels d’offres par les stratégies d’influence, déstabilisation des acteurs économiques par dénigrement, entrisme financier par des fonds d’investissement, etc. En revanche, il est regrettable que la majorité des acteurs des nations dominées n’aient pas conscience de la banalisation de ces pratiques.
    La guerre d’Irak a souligné l’importance qu’a acquis la manipulation de l’information dans les relations internationales. L’accusation portée par George W. Bush et Tony Blair contre S. Hussein concernant l’existence d’armes de destruction massive (ADM) est devenue un cas d’école dans l’histoire de la désinformation. Dans cette affaire, les rouages de la démocratie ont fonctionné dans la mesure où la supercherie n’a pas résisté à l’évidence des faits. Encore ne faudrait-il pas en tirer de mauvaises conclusions quant à la manière dont se mène une telle guerre. L’erreur souvent commise est de confondre la manipulation de l’information afin de tromper l’adversaire ou l’allié, avec la production de connaissances conçues pour façonner les modes de pensée et orienter les règles de conduite. Il existe aujourd’hui deux types de guerre immatérielle : la guerre par l’information conceptualisée à partir de la Seconde Guerre mondiale par les Anglo-Saxons et les Soviétiques, et la guerre par la connaissance dont nous avons tiré en France le concept de guerre cognitive[6]. Les médias, les chercheurs et les militaires citent toujours la première, mais pratiquement jamais la seconde.

    C’est dans le monde économique que la guerre cognitive prend une dimension majeure. En deux décennies, sous l’effet d’un durcissement de la compétition économique, les fondements du contrat social entre l’entreprise et la société civile ont connu une véritable mutation. Soumise à de multiples pressions, l’entreprise doit désormais répondre de ses décisions, non plus devant ses seuls actionnaires ou administrateurs, mais devant un ensemble plus large constitué des pouvoirs publics, d’associations de consommateurs, de syndicats, d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organisations internationales. Les entreprises doivent assumer une responsabilité sociale et environnementale, soumise de manière croissante au principe de précaution. Prenons l’exemple de la santé et de l’alimentation. L’industrie agro-alimentaire américaine a servi de modèle de développement à l’ensemble des pays industrialisés. Elle subit depuis une décennie une crise majeure à cause des maladies provoquées par la composition de ses produits trop dosés en sucre et en graisses. Or force est de constater qu’en France les groupes de pression industriels du sel et du sucre tentent par tous les moyens de freiner l’action des pouvoirs publics dans leur volonté de légiférer afin d’améliorer la prévention sanitaire des citoyens. Désormais, des groupes industriels n’hésitent pas à fragiliser l’argumentation des scientifiques qui contestent leur manière de produire par le biais de sites Internet créés à cet effet. L’entreprise évolue donc aujourd’hui au cœur d’un système complexe, dont l’environnement concurrentiel ne constitue plus que l’un des volets (voir la fig. 1). L’accroissement des contraintes légales et réglementaires ainsi que l’activisme des groupes de pression sont autant d’arguments offensifs utilisables par des concurrents sans état d’âme qui n’hésitent pas à amplifier indirectement les failles des entreprises rendues publiques par les médias. Dans l’affaire de l’amiante, l’entreprise Alstom a été victime de ce type de « croc-en-jambe ». En annonçant qu’elle provisionnait une somme importante en dollars pour faire face à d’éventuelles indemnités réclamées par des plaignants américains, l’entreprise se créait elle-même une brèche habilement exploitée par des adversaires par le biais de rumeurs sur les places boursières. La valeur de l’action d’Alstom fut affectée par ces manœuvres insidieuses très difficiles à démontrer juridiquement.

Dans ce champ conflictuel, les administrations et les entreprises sont confrontées à une double problématique. Sur le plan interne, d’une part, le problème est posé par des structures organisationnelles souvent inadaptées en raison du cloisonnement des compétences et par des stratégies de communication qui n’ont pas intégré la globalisation. Sur le plan externe, d’autre part, cette problématique se rapporte à la gestion des questions liées à cette nouvelle forme de « guérilla » : la diffusion en temps réel et tous azimuts de l’information et les interactions multiples des acteurs, tour à tour émetteurs, relais et récepteurs.

L’affrontement cognitif, sans mort ni destruction spectaculaire, est la suite logique du rejet par les populations du monde développé de la guerre militaire. En effet, la préservation du niveau de vie et du confort matériel constitue un argument au moins aussi fort que la revendication de l’idéal démocratique pour expliquer la mutation des rapports de force et des modes d’action. De fait, l’affrontement cognitif est sanctuarisé là où les systèmes de croyance répugnent à envisager les conflits dans leur dimension originelle. Le rapport de force allié/adversaire, combiné aux nouvelles formes d’affrontement générées par la société de l’information, est l’une des clés des stratégies d’accroissement de puissance du XXIe siècle. Forte de son art de la rhétorique, la France est une puissance qui peine à découvrir son potentiel en matière de guerre cognitive.

Au sein de l’École de guerre économique (EGE)[7], les travaux poursuivis ont mené de la guerre par l’information au concept de guerre cognitive. Dans le cadre de relations avec le ministère de la Défense, ce concept a été approfondi en collaboration avec le Collège interarmées de défense et l’École supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major (ESORSEM). Il s’agit d’une invitation à formuler un corps de doctrines et de déclinaisons opérationnelles. Si les États-Unis ont commis une erreur tactique en centrant leur campagne militaire en Irak autour des ADM, ils sont peut-être en train de gagner une bataille stratégique dans le domaine de la guerre cognitive. Leur contrôle des vecteurs de l’information ne préjuge pas de leur maîtrise absolue des contenus qu’ils véhiculent. C’est le défi du faible au fort que l’Europe et la France doivent relever.

NOTES
[ 1]
Christian Harbulot, Didier Lucas (sous la dir.), La France a-t-elle une stratégie de puissance économique ? Actes du 3e colloque de l’EGE, Panazol, Lavauzelle, coll. « Renseignement et guerre secrète », 2004.
[ 2]
Carl Schmitt, Le nomos de la terre dans le droit des gens du Jus publicum europaeum [1950], Paris, PUF, coll. « Leviathan », 2001. Les fondateurs du IIIe Reich se sont inspirés de sa pensée.
[ 3]
Christian Harbulot, Didier Lucas (sous la dir.), La guerre cognitive. L’arme de la connaissance, Paris, Lavauzelle, coll. « Renseignement et guerre secrète », 2002.
[ 4]
N.d.l.R. — Adopté le 18 juillet 1966, le plan Calcul est destiné à stimuler l’émergence d’un secteur informatique français indépendant des techniques et des capitaux étrangers.
[ 5]
Aymeric Chauprade, Christian Harbulot, Didier Lucas, Les chemins de la puissance, Paris, Ellipses, à paraître à l’automne 2004.
[ 6]
C. Harbulot, D. Lucas (sous la dir.), op. cit., 2002.
[ 7]
EGE, département de l’École supérieure libre des sciences commerciales appliquées (ESLSCA), 1, rue Bougainville, 75007 Paris. Pour plus d’informations, se référer au site Internet de l’EGE à l’adresse suivante : h http ://www.ege.eslsca.fr( ege@ege.eslsca.fr).

La Guerre Cognitive II

Dans la droite ligne du concept d'information dominance issue de la première Guerre du Golfe et de la Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) est ainsi née la doctrine américaine du « Perception Management », à savoir l'ensemble des « actions consistant à fournir ou au contraire camoufler une information sélectionnée et des indices à des audiences étrangères de façon à influencer leurs émotions, leurs motivations et leurs raisonnements objectifs. Pour les organismes de renseignement et les décideurs de tous niveaux, ces actions consistent à influencer les évaluations officielles pour parvenir in fine à rendre les comportements et les agissements officiels étrangers favorables aux objectifs de l'émetteur ». Avec cette « stratégie de la persuasion » tendant à modifier les principes de représentation mentale des individus, selon l'assertion désormais officielle « Shapping the world », les Etats-Unis pensent avoir élaboré une doctrine de maîtrise des mécanismes psychologiques adaptée aux exigences de la société de l'information. Ce que résument John Arquilla et David Rundfeldt par la formule désormais célèbre : « Ce n'est plus celui qui a la plus grosse bombe qui l'emportera dans les conflits de demain, mais celui qui racontera la meilleure histoire ». Les difficultés éprouvées par la Maison Blanche sur les différents théâtres d'engagement (militaires comme en Irak et en Afghanistan ou commerciaux dans le cadre des négociations avec l'Union européenne) démontrent que l'outil, même aux mains de l'hyperpuissance mondiale, est loin d'être totalement opérationnel. 




La Guerre Cognitive

   La guerre cognitive L'arme de la connaissance
Sous la direction de C. Harbulot et D. Lucas
Editeur : Lavauzelle

Avec les textes de


Philippe Baumard
Christian Harbulot
François-Bernard Huyghe
Didier Lucas
Nicolas Moinet
Charles Prats
Claude Rainaudi
Alain Tiffreau
Jean-Michel Valantin
« Promotion 2002 de l’Ecole de Guerre Economique »



La date du 11 septembre 2001 n’est pas seulement le repère symbolique d’un changement d’ère, elle est aussi l’expression d’une dimension inédite de la guerre, celle qui se mène par l’information. La guerre du Golfe, l’intervention américaine en Somalie ainsi que les conflits dans l’ex-Yougoslavie avaient déjà donné un aperçu de cette mutation. Lors de l’invasion du Koweït par l’Irak, l’opinion publique américaine s’est mobilisée à la suite d’une désinformation orchestrée par les autorités américaines avec la complicité de la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis . Le débarquement télévisé des troupes américaines sur les plages de Mogadiscio, de même que le lynchage en direct d’une unité de l’US Army, ont fait passer au second plan la réalité politico-militaire de la guerre civile locale. Dans les évènements du Kosovo, la polémique sur la manipulation de l’information a été présente du début (négociations diplomatiques) jusqu’à la fin (communiqués de presse de l’Otan sur la précision des frappes et les dommages collatéraux). Cette dimension particulière de la guerre par l’information est devenue évidente dans le cadre de la mise en scène des attentats du 11 septembre, montrés en direct par les chaînes de télévision à une échelle planétaire.

Cette guerre par l’information est étudiée depuis de nombreuses années aux Etats-Unis. Près d’une dizaine d’écoles spécialisées des trois armées et d’instituts de recherche travaillent sur l’information warfare et l’information dominance. Une telle polarisation de la pensée militaire américaine sur l’information pourrait s’expliquer par le bilan négatif tiré de la guerre du Vietnam. Mais l’explication est à la fois plus globale et plus complexe. Les Etats-Unis sont placés devant un contexte stratégique inédit. Sans rival militaire, ils souhaitent assurer durablement leur suprématie en se présentant comme le modèle de référence de toutes les démocraties marchandes. Contrairement au passé, la dissuasion nucléaire ne suffit plus à Washington pour imposer ses vues aux autres pays sur les échiquiers géopolitique, économique, culturel et sociétal. Seule une maîtrise absolue de la production de connaissances en amont (circuits éducatifs) et en aval (Internet, médias audiovisuels) peut assurer aux Etats-Unis une légitimité durable sur le contrôle des affaires mondiales. 

En France, ce sont surtout les milieux de la Défense qui ont travaillé sur les applications techniques de la démarche américaine. Des industriels dont Thalès commercialisent des produits labellisés « information dominance ». De son côté, l’armée française par l’intermédiaire du Centre d’Electronique de l’Armement (Celar), met au point une capacité de guerre électronique et de guerre informatique. Le séminaire Renseignement à l’horizon 2030, organisé en décembre 2001 par l’Etat Major de l’Armée de Terre et la Délégation Générale de l’Armement, a souligné les carences de notre dispositif en matière de guerre par l’information dans le domaine du contenu. Ce retard doit être comblé. Mais le ministère de la Défense est pour l’instant bloqué dans son élan à cause des séquelles de la guerre d’Algérie . Du côté des autres administrations, la situation n’est guère plus propice à la créativité dans la mesure où la prise de conscience ne dépasse pas le cap de la gestion de crise.

Pour ne pas s’appesantir dans les états d’âme du passé, des initiatives ont donc vu le jour au sein de la société civile. L’Ecole de guerre économique a été créée en 1997 dans la continuité d’une démarche initiée avec le concept d’intelligence économique à la fin des années 1980. De l’aventure Aditech , en passant par Intelco/DCI jusqu’à la création de l’EGE, les travaux de recherche et de formation ont conservé un cap précis : servir les entreprises en apportant des éclairages nouveaux sur le rôle croissant des sources ouvertes dans les stratégies d’affrontement entre les économies, les entreprises et les groupes de pression issus de la société civile. Après cinq ans de réflexion et d’exercices pratiques tirés de cas réels d’entreprises, l’EGE a abouti à la formulation d’un concept opérationnel distinct de la notion de guerre par l’information développée aux Etats-Unis. Il s’agit du concept de guerre cognitive.


Inventer la guerre cognitive

Les guerres du cognitif opposent des capacités à connaître et produire ou déjouer des connaissances. Les sciences cognitives portent sur l’ensemble des sciences qui concernent la connaissance et ses processus (psychologie, linguistique, neurobiologie, logique, informatique). La définition que nous donnons de la guerre cognitive est donc la manière d’utiliser la connaissance dans un but conflictuel. Elle se différencie de l’acceptation américaine qui limite la guerre cognitive à la manière de leurrer l’adversaire en termes de commandement. Il existe en fait deux manières d’appréhender la guerre cognitive : dans un rapport du fort au faible et inversement dans un rapport du faible au fort. Les multiples formes d’affrontement qui secouent périodiquement le monde de l’entreprise démontrent que l’innovation dans ce domaine n’est pas forcément du côté de la force brute. Dans la guerre cognitive, David doit vaincre Goliath.
Nous avons conçu cet ouvrage autour de trois axes de réflexion : Le premier axe constitue une interrogation sur les fondements du concept de guerre cognitive. Abordée sous une quadruple perspective (sciences politiques, sciences de gestion, psychologie sociale et sociologie), cette partie explore le concept depuis l’acceptation française (Christian Harbulot), et elle remet en cause les analyses en vigueur en matière de guerre de l’information traditionnelle (Philippe Baumard). Le troisième chapitre (Claude Rainaudi) aborde la cognitive warfare depuis le prisme militaire américain, enfin le dernier point constitue une seconde analyse critique des stratégies de « façonnage de l’esprit ».

Le deuxième axe s’intéresse aux démarches méthodologiques de la guerre cognitive et tente de répondre à l’interrogation : Comment et par qui est-elle pratiquée ? Ce volet commence par une réflexion (Charles Prats), autant d’ordre philosophique que juridique et managériale, et explore l’articulation entre la subversion et la guerre de l’information envisagée sous l’angle concurrentiel. Dans le prolongement, Alain Tiffreau livre une démonstration des savoir-faire nécessaires pour mener des opérations de guerre de l’information, dans le cadre d’une prestation de conseil. Enfin, le dernier volet de réflexion est le fruit des étudiants de la promotion en cours de l’Ecole de Guerre économique. Il s’attache d’un point de vue tactique, à l’étude d’un cas de guerre par l’information dans un contexte local ? par opposition à international. 

Concernant le troisième et dernier axe de cet ouvrage, il approfondit des questionnements liés aux mutations de nos univers, il évalue les impacts de la société de l’information et s’interroge sur les fondements et le devenir de la guerre cognitive. François-Bernard Huyghe délimite le cadre théorique d’un nouveau paradigme : l’info-stratégie. Le chapitre suivant (Nicolas Moinet) revient sur une donnée essentielle de la guerre de l’information et démontre le rôle capital des stratégies-réseaux dans l’appréhension de la complexité et la conduite du changement. Enfin, l’ultime chapitre (Didier Lucas) constitue un essai sur la nécessité ? stratégique ? de mener des réflexions au niveau européen sur le thème de la sécurité de l’information, tant le retard par rapport aux Etats-Unis est aujourd’hui important.

jeudi 21 octobre 2010

VA DE RETRO, SATANAS!

L’aliéné doit rester en mouvement, il est sommé d’apprendre autant que d’oublier : la vie de consommation est une vie d’apprentissage rapide et de prompt oubli. Il en va bien sûr en réalité de la survie non de l’individu, mais du Système, car quel plus grand danger pour cet hyper-capitalisme que la généralisation du consommateur traditionnel, limitant ses achats à ses besoins réels? Derrière la modernité-liquide, il y a bel et bien une nouvelle stratégie du pouvoir, qui provoque bel et bien de grandes souffrances. Si la satisfaction différée caractérisait l’économie centrée sur la production, l’économie centrée sur la consommation, elle, se distingue par la recherche d’une satisfaction permanente, avec des humains synchroniques qui ne vivent qu’au présent. C’est là que la société de consommation se révèle comme une économie de la tromperie : la plus grande menace qui pèse sur une société qui proclame la satisfaction du consommateur comme sa motivation et son but, est précisément le consommateur satisfait. 


 La course en avant génère plus de malheur, de ressentiment et de sensation d’insécurité : la société de consommation prospère tant qu’elle réussit à rendre permanente l’insatisfaction, et donc le malheur. 

DISTANCIATION & IMPLICATION, SELON RAUL RUIZ

«La distanciation ne signifie pas forcément un paysage en plan large. Ça peut être une main, un objet, un détail. Si l’implication et la distanciation s’harmonisent, on peut créer un autre type d’attention. Une attention qui n’est pas "focalisée". Chaque spectateur verra alors un film différent.» Si on ne pratique que l’implication, «tout le monde voit à peu près le même film.[…] Toutes les techniques cinématographiques vont désormais dans le sens de vous capturer. On "capture" l’attention du spectateur. Mais ce type d’attention est une forme d’inattention. C’est une attention qui provoque une espèce d’inertie

COMMENTAIRE DE RAUL RUIZ POUR SON NOUVEAU FILM, "MYSTÈRES DE LISBONNE", À PROPOS DE L'ATTENTION, PARU DANS LE QUOTIDIEN LIBÉRATION, CE MATIN.