La vie comme culture.
Parce qu'au delà de ce qu'il cultive, du produit qu'il prend de la terre, le paysan "sait" que ce qu'il cultive c'est d'abord la vie. Voilà ce que nous avons oublié, oblitéré par le principe de mort du profit.
Critique de la culture.
La contradiction immanente, entre le pessimisme culturel de la bourgeoisie cultivée et l’optimisme culturel postmoderne-technologique, constitue en réalité les deux faces de la même médaille. Le culte de la superficialité et le culte du sentiment intime sont complémentaires. Des deux côtés, on dénie l’approbation, dépourvue de tout contenu, de la condition capitaliste de la culture. Pour comprendre ce qui les lie, la vieille analyse d’Adorno et d’Horkheimer, en dépit de son déficit politique et économique, procure toujours davantage d’éléments que ne le prétend la gauche pop, qui elle-même, entre temps, a bien vieilli. Et même, elle est valable pour comprendre la mutation de l’Intenet devenu "réalisation grinçante du rêve wagnérien d’une oeuvre d’art totale", surtout depuis l’„interactivité“ technologique du web 2.0.
Les modes d'accomplissement de la vie ne sont plus intégrés au projet général d'une culture qui les prennent eux-mêmes pour but. Mais subordonnés à cette saleté de principe du profit, ils s'inscrivent dans la culture qui va avec, d'extinction de la vie, d'involution des affects. C'est de cette culture de mort que vient le besoin de soin, de réparation: pour une culture qui serve la vie, qui redevienne un savoir de la vie, et non un adjuvant à la circulation des marchandises, un stimulateur à débouchés -délire improbable d'un capitalisme en fin de cycle. Encore faut-il que le soin ne soit pas une prolongation du moribond mais sa subversion, de la "grande santé" nietzschéenne.
Nietzsche contre Wagner. Ou la vérité du mystère comme poison éternel contre la transparence totalitaire.
"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille
« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.
« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.
« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP
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mercredi 21 mars 2012
La culture comme pharmakon
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dimanche 1 janvier 2012
Contra el Arte
Domingo Mestre
Domingo
Mestre es un artista visual y escritor valenciano. Integró el consejo
editorial de la revista "Fuera de Banda" y es miembro del colectivo United Artists from the Museum y de la Plataforma Ex-Amics de l'IVAM.
Contra
el Arte como instancia metafísica porque con sus pretensiones de
trascendencia resulta incapaz de generar el más mínimo acontecimiento
que escape, siquiera por un momento, de la feroz tutela de la Realidad.
Realidad que no es, en el fondo, sino una falaz construcción cultural
tras la que se oculta nuestra impotencia para aceptar la insignificante
situación que ocupamos en el mundo. Y es que, tras la entrada en crisis y
posterior derrumbe de los postulados vanguardistas, son muchos
(demasiados) los que considerándose sus herederos putativos reclaman el
usufructo de un legado que, por derecho, a nadie pertenece; mucho menos a
quienes sólo pueden vanagloriarse de haber conseguido transformar lo
que fuera concebido como una «máquina de guerra», capacitada para trazar
creativas líneas de fuga, en el brazo acicalado e ilustrado del actual
Dominio Espectacular.
Por eso, ahora mismo, todo lo que se está haciendo desde el territorio del ARTE, no parece encaminado sino a la consolidación de su propio estatus en el entramado de la Cultura del Espectáculo. Operación que se está llevando a cabo con tanto éxito que, en muy poco tiempo, ha convertido al Museo en la institución sacra por excelencia [1]. Consideración ésta que ha sido aceptada hasta por quienes han hecho bandera de su ignorancia y su desprecio por estos temas. Y contra este «Estado de las cosas» parece que ya no resultan operativas ni las críticas ni los juicios razonables. Y no porque sean silenciadas o ignoradas, que también, sino porque todo aquello que no adopte de partida la lógica del Espectáculo [2], aunque consiguiera ver la luz, acabaría siendo sepultado de inmediato por las toneladas de artísticas memeces que se publican, a diario, en las páginas y suplementos de Cultura –y a las que su evidente irracionalidad, por desgracia, no hace más lúcidas–. La verdad es que tampoco se puede esperar gran cosa del sector Crítico-Cultural dado su alto grado de especialización en hacer lo que se debe aunque sea diciendo lo que no se debe. Ni siquiera albergamos esperanzas respecto a los propio artistas –al menos mientras sigan actuando como tales–, ya que incluso su propia rebeldía, en el caso de que la hubiera, estaría de antemano desactivada por la propia Institución que, astutamente, la tiene asumida como uno de sus paradigmas. En el mejor de los casos, no nos engañemos, todo lo producido por y desde el ARTE acabará siendo engullido y socialmente desactivado por el mejor papel couché del Mercado – y la foto de los protagonistas en el próximo suplemento del Arte es el precio que, hoy por hoy, está siendo acordado y comúnmente aceptado [3].
Pero también es verdad que ante esta situación ya no hay retroceso posible y todos los implicados sabemos que lo que se fue quedando en el camino, tras la pérdida de la Obra de Arte y de la fe en el Progreso, es algo irrecuperable. Por tanto, cualquier tentativa de vuelta atrás sería hoy una falacia tan grande, al menos, como las alocadas huidas hacia delante de quienes van corriendo tras el Futuro –o, más bien, su Futuro–.
De este modo cualquier búsqueda del sentido de la vida a través de los medios que nos proporciona la Institución ARTE queda reducida hoy a un mero simulacro vacío de sentido que, sin embargo, aparece con frecuencia preñado de nostalgias metafísicas. Tal como están las cosas, aquí y ahora, nos da la impresión de que, por no caber, a lo mejor ya no caben ni las estrategias deconstructivas –quizás, tan sólo, «la del caracol» y ni de eso estamos seguros– pues hasta la inversión concienzuda del presupuesto anterior, o sea, la posible búsqueda del sentido (o incluso del sinsentido) del arte a través del laberinto en que se ha convertido la Realidad de la vida acabaría tropezando, inevitablemente, con las infranqueables murallas de la erudición arborescente que nos está llevando, una y otra vez, a visitar los mismos lugares. Hermosos territorios desde los que no resulta difícil epatar al PÚBLICO pero desde los que nadie (nosotros tampoco) practicará ni atravesará puerta alguna.
Pero también Contra el Público
Contra el PÚBLICO, también, porque son los hombres y las mujeres los que, al constituirse como tales, reniegan de su origen, que no es otro que la gente: pura indeterminación inclasificable e incalificable, para convertirse en otra cosa, ésta sí perfectamente mensurable y controlable (y de esto algo sabemos los que hemos trabajado la performance). Es al aceptar este rol, que siempre viene impuesto desde arriba, cuando aquello que en principio era la gente se verá forzado a asumir la dinámica del grupo en el que se integra: la del Espectador. Contrafigura imprescindible para que el Espectáculo se constituya. Desde este posicionamiento, que abre un abismo conceptual entre quien hace y quien recibe, nada de lo que pueda suceder afectará en profundidad a ninguno de los implicados, pues su relación quedará condicionada por las leyes de la mediación espectacular. Y las prácticas que más afectadas se verán por ello serán, paradójicamente, aquellas cuyos planteamientos, en principio, se suponen más «radicales», tal como podrían ser la instalación [4] o la performance [5]. Será así como todos y cada uno de los actores de esta artística pantomima acabarán sustentando –y además desde abajo– las bases en las que se apoya la Sociedad del Espectáculo Integrado.
Por eso, ahora mismo, todo lo que se está haciendo desde el territorio del ARTE, no parece encaminado sino a la consolidación de su propio estatus en el entramado de la Cultura del Espectáculo. Operación que se está llevando a cabo con tanto éxito que, en muy poco tiempo, ha convertido al Museo en la institución sacra por excelencia [1]. Consideración ésta que ha sido aceptada hasta por quienes han hecho bandera de su ignorancia y su desprecio por estos temas. Y contra este «Estado de las cosas» parece que ya no resultan operativas ni las críticas ni los juicios razonables. Y no porque sean silenciadas o ignoradas, que también, sino porque todo aquello que no adopte de partida la lógica del Espectáculo [2], aunque consiguiera ver la luz, acabaría siendo sepultado de inmediato por las toneladas de artísticas memeces que se publican, a diario, en las páginas y suplementos de Cultura –y a las que su evidente irracionalidad, por desgracia, no hace más lúcidas–. La verdad es que tampoco se puede esperar gran cosa del sector Crítico-Cultural dado su alto grado de especialización en hacer lo que se debe aunque sea diciendo lo que no se debe. Ni siquiera albergamos esperanzas respecto a los propio artistas –al menos mientras sigan actuando como tales–, ya que incluso su propia rebeldía, en el caso de que la hubiera, estaría de antemano desactivada por la propia Institución que, astutamente, la tiene asumida como uno de sus paradigmas. En el mejor de los casos, no nos engañemos, todo lo producido por y desde el ARTE acabará siendo engullido y socialmente desactivado por el mejor papel couché del Mercado – y la foto de los protagonistas en el próximo suplemento del Arte es el precio que, hoy por hoy, está siendo acordado y comúnmente aceptado [3].
Pero también es verdad que ante esta situación ya no hay retroceso posible y todos los implicados sabemos que lo que se fue quedando en el camino, tras la pérdida de la Obra de Arte y de la fe en el Progreso, es algo irrecuperable. Por tanto, cualquier tentativa de vuelta atrás sería hoy una falacia tan grande, al menos, como las alocadas huidas hacia delante de quienes van corriendo tras el Futuro –o, más bien, su Futuro–.
De este modo cualquier búsqueda del sentido de la vida a través de los medios que nos proporciona la Institución ARTE queda reducida hoy a un mero simulacro vacío de sentido que, sin embargo, aparece con frecuencia preñado de nostalgias metafísicas. Tal como están las cosas, aquí y ahora, nos da la impresión de que, por no caber, a lo mejor ya no caben ni las estrategias deconstructivas –quizás, tan sólo, «la del caracol» y ni de eso estamos seguros– pues hasta la inversión concienzuda del presupuesto anterior, o sea, la posible búsqueda del sentido (o incluso del sinsentido) del arte a través del laberinto en que se ha convertido la Realidad de la vida acabaría tropezando, inevitablemente, con las infranqueables murallas de la erudición arborescente que nos está llevando, una y otra vez, a visitar los mismos lugares. Hermosos territorios desde los que no resulta difícil epatar al PÚBLICO pero desde los que nadie (nosotros tampoco) practicará ni atravesará puerta alguna.
Pero también Contra el Público
Contra el PÚBLICO, también, porque son los hombres y las mujeres los que, al constituirse como tales, reniegan de su origen, que no es otro que la gente: pura indeterminación inclasificable e incalificable, para convertirse en otra cosa, ésta sí perfectamente mensurable y controlable (y de esto algo sabemos los que hemos trabajado la performance). Es al aceptar este rol, que siempre viene impuesto desde arriba, cuando aquello que en principio era la gente se verá forzado a asumir la dinámica del grupo en el que se integra: la del Espectador. Contrafigura imprescindible para que el Espectáculo se constituya. Desde este posicionamiento, que abre un abismo conceptual entre quien hace y quien recibe, nada de lo que pueda suceder afectará en profundidad a ninguno de los implicados, pues su relación quedará condicionada por las leyes de la mediación espectacular. Y las prácticas que más afectadas se verán por ello serán, paradójicamente, aquellas cuyos planteamientos, en principio, se suponen más «radicales», tal como podrían ser la instalación [4] o la performance [5]. Será así como todos y cada uno de los actores de esta artística pantomima acabarán sustentando –y además desde abajo– las bases en las que se apoya la Sociedad del Espectáculo Integrado.
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Domingo MESTRE
dimanche 16 octobre 2011
Marcel Duchamp, artiste ou anthropologue ? par Alain Boton
SOURCE :
Alain Boton, « Marcel Duchamp, artiste ou anthropologue ? »,
Revue du MAUSS permanente, 14 septembre 2011
[en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article833
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L’art ne tend-il pas vers son propre
anéantissement ? Cet effort vers le néant n’est-il pas ce qui anime tout
l’art contemporain ? Pour en juger, il est essentiel de s’interroger
sur la signification de l’artiste sans doute le plus emblématique de la
modernité : Marcel Duchamp. Son œuvre, suggère Alain Boton (qui signait
auparavant « l’artiste anonyme »), doit être lue comme un rébus. Un
rébus qui nous dit que, derrière son « art », il n’y a qu’une expérience
sociologique. C’est « le regardeur qui fait le tableau », écrivait
Duchamp. D’où la traduction du rébus : « Si la loi sociologique qui veut
qu’un objet créé par un artiste devienne un chef-d’œuvre de l’art s’il a
d’abord été refusé par une majorité scandalisée de sorte qu’un minorité
agissante puisse se caresser l’amour-propre dans le sens du poil en le
réhabilitant est bien une loi « scientifique », alors mon urinoir, qui
n’a pourtant aucun des attributs qui, en 1913, sont censés caractériser
une œuvre d’art, deviendra un chef-d’œuvre de l’art s’il débute sa
carrière par un refus radical et connu de tous ».
Où l’auteur, en suggérant que Duchamp a mystifié le monde de l’art,
affirme qu’il en révèle la vérité : la vanité et la vacuité. A discuter.
Alain Caillé
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"L’amour-propre est à peu près à l’esprit ce que la forme est à la matière.
L’un suppose l’autre."
Marivaux
Pourquoi l’œuvre de Duchamp reste aujourd’hui encore une énigme
Comment une thèse qui ne flatte personne peut-elle trouver lecteur ?Comment une découverte particulièrement vexante pour homo sapiens trouvera-t-elle des chercheurs homo sapiens pour la valider ?
C’est la question que je me pose et que les lecteurs de la revue du MAUSS pourront peut-être m’aider à résoudre. Je vais exposer succinctement cette thèse, sachant qu’elle repose sur une argumentation très serrée et donc réfutable, exposée dans un ouvrage intitulé « Marcel Duchamp par lui-même, ou presque » qui justement peine à trouver sa place dans le débat public parce qu’il expose des traits peu glorieux pour le moderne. (De fait, il n’est pas encore édité).
Tout le monde connait, au moins de réputation, Marcel Duchamp, artiste dada ayant propulsé une pissotière au statut de chef-d’œuvre de l’art du XX° siècle. Le concept de ready-made qu’on lui attribue est aujourd’hui incontournable et nourrit encore la plupart des créations contemporaines. Un des derniers colloques qui réunissent sa fortune critique innombrable posait : « A chacun son Duchamp », reconnaissant ainsi que son œuvre est considéré actuellement comme une auberge espagnole où chacun apporte ses propres fixettes. On a ainsi un Duchamp alchimiste, un Duchamp chrétien, un Duchamp apôtre de la libération sexuelle, un Duchamp oulipien et pataphysicien, un Duchamp passionné de science amusante et de perspective, un Duchamp adepte de la paresse dans la lignée d’un Paul Lafargue …etc. Son œuvre aurait donc été conçue dans le but de susciter de multiples interprétations et sa forme si énigmatique découlerait de cette volonté d’être une sorte de dream-catcher de tous les fantasmes. Ce qui n’est pas tout à fait faux, vous allez le voir. En effet, Duchamp a bien créé l’ensemble de ses objets, ses « choses » comme il les nommait, dans le but de provoquer la textostérone du critique virtuose mais cette fonction s’inscrit dans un projet d’ensemble qui n’est pas celui d’un artiste mais celui d’un anthropologue voulant démontrer scientifiquement sur quoi repose ce fameux « jugement de goût » qui depuis Hume et Kant est l’objet de la philosophie esthétique. Duchamp a mystifié le « monde de l’art ». Ou plutôt il est l’auteur de la première expérience grandeur nature dans l’histoire des sciences humaines visant à démontrer des lois sociologiques.
dimanche 9 octobre 2011
FAIRE SYSTÈME : L'ÂGE D'OR DE GUY BRUNET
source : http://jmchesne.blogspot.com/
Guy Brunet est né dans l'Aveyron en 1945 et dès l’enfance il baigne dans l’univers du septième art car son père gérait un cinéma dans le Tarn. Jusqu'en 1963, programmant essentiellement des films hollywoodiens, Guy aida son père comme projectionniste et monteur. Comme il le dit, c’est probablement l’arrivée de la télévision qui aura raison de l’activité de la famille Brunet qui s’installe ensuite à Cahors et y développe un petit commerce d’electro-ménager. En 1973, il revient dans le bassin minier de Decazeville (Aveyron) où il sera ouvrier dans plusieurs usines et c’est en 1987 qu’il se consacre pleinement à sa passion : le cinéma. Depuis et sans discontinuer, il peint l'Age d'Or du cinéma, celui des années 30 aux années 60 réalisant une sorte d’inventaire extravagant étayé par une solide érudition encyclopédique sur le sujet.
Guy Brunet est né dans l'Aveyron en 1945 et dès l’enfance il baigne dans l’univers du septième art car son père gérait un cinéma dans le Tarn. Jusqu'en 1963, programmant essentiellement des films hollywoodiens, Guy aida son père comme projectionniste et monteur. Comme il le dit, c’est probablement l’arrivée de la télévision qui aura raison de l’activité de la famille Brunet qui s’installe ensuite à Cahors et y développe un petit commerce d’electro-ménager. En 1973, il revient dans le bassin minier de Decazeville (Aveyron) où il sera ouvrier dans plusieurs usines et c’est en 1987 qu’il se consacre pleinement à sa passion : le cinéma. Depuis et sans discontinuer, il peint l'Age d'Or du cinéma, celui des années 30 aux années 60 réalisant une sorte d’inventaire extravagant étayé par une solide érudition encyclopédique sur le sujet.
La façade de l'ancienne boucherie peinte par Guy Brunet en 2004 |
Guy Brunet peint généralement ses grandes affiches sur le pas de sa porte, indifférent au vacarme du passage des voitures et des camions. |
Dioramas et autres petits décors utilisés pour ses films |
Des dizaines d'affiches de cinéma revisitées et peintes à la glycéro. |
Sur des supports de récupération,
Guy Brunet réinvente à sa façon affiches, publicités, logos de firmes.
Il retrace en se filmant lui-même durant des heures, l’histoire du
cinéma et pour illustrer ses propos, il montre à l’écran certaines des
750 silhouettes de «vedettes» qu'il a peintes pratiquement grandeur
nature sur du carton ondulé. Cette foule impressionnante d’acteurs, de
metteurs en scène, d'opérateurs, de décorateurs, de producteurs... est
répartie dans les pièces et les couloirs de cette ancienne boucherie
acquise en 1994. Les hommes d’un côté les femmes de l’autre. L’ambiance
générale des lieux est totalement incroyable voire inquiétante puisque
l’on est observé par des centaines de regards. Guy Brunet est
intarissable et vous fera découvrir son royaume dans la quasi pénombre
d’une bâtisse humide et vétuste mais cette visite à Viviez reste
sincèrement l’une des plus fortes et bouleversantes que j’ai pu vivre
auprès d’un créateur.
Des centaines de silhouettes de personnages oubliés. |
Ce travail obsessionnel et sa vie toute entière sont intimement liés au
cinéma à tel point qu’au dehors, Guy Brunet n’est pas très à l’aise et
ne trouve pas sa place. Au delà de son pas de porte le monde extérieur
ne l'intéresse pas vraiment. Il le dit lui-même : «Quand je suis en
dehors de chez moi, je me demande sur quelle planète je suis. Je suis
comme la station Mir qui redescend sur Terre. C’est à dire que pour
moi, l’extérieur c’est l’inverse : j’entre dans un univers qui me
dépasse, je suis dans un autre monde, complètement perdu... alors que
chez moi je retrouve un système de vie qui me convient parfaitement.
Alors bien sûr, pour certains c’est du rêve mais pour moi c’est une
réalité puisque tout ce que j’ai autour de moi existe.»
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Rocailles fin-de-siècle et poésie des ruines
SOURCE:
http://jmchesne.blogspot.com/
Dès la fin du XVIIIe et au début
du XIXe siècle on assiste à un mouvement de réappropriation de la
campagne par la ville. C’est le début de la résidence secondaire qui
touche toutes les couches de la société, même si certaines utopies
rustiques sont imaginées par une élite intellectuelle et urbaine. Les
faubourgs et les banlieues vont s’emplir de villas pittoresques, chalets
rustiques, fausses grottes, guinguettes et kiosques en faux bois ou
fausse pierre et c’est le triomphe de la rocaille.
Cette invention romaine,
redécouverte à la Renaissance, est de nouveau au goût du jour et
réalisable grâce en partie au nouveau ciment «Portland». Ce matériau va
permettre la reconnaissance d’une nouvelle activité originale, celle
des rocailleurs. Ces artisans, modestes à l’origine, vont accéder à un
autre statut qui leur permettra de signer leurs œuvres.
Les annuaires professionnels en
portent le témoignage avec les nouvelles rubriques de «rustiqueurs»,
«rocailleurs-paysagistes», «artistes-rocailleurs»,
«cimentiers-naturistes», «artistes en ciment»... Je reproduis là
quelques pages d’un étonnant catalogue déniché par hasard chez un
brocanteur où l'on découvre avec amusement qu'on pouvait commander
pratiquement par correspondance une grotte ou une passerelle pour son
jardin. Le trompe-l’œil redevenant le critère du savoir-faire, on y retrouve au fil des pages toutes la gamme des décors paysagers de l'époque, le tout promut grâce à des formules chocs : "Des meubles rustiques en ciment et fer !" ou bien ce "Belvédère
rustique élevé sur trois arbres gigantesques, construit en ciment armé
avec montée d'escalier en ciment et en fer !"
Ce rêve d’exotisme n’est pas
seulement naturaliste, c’est une échappée dans le temps avec ses faux
temples, des fausses ruines, du faux gothique, mais aussi dans l’espace
avec ses pagodes, chalets suisses, pyramides, le tout réalisé au mépris
des spécificités locales. Le Midi semble privilégié (est-ce le manque de
bois et la présence des maçons italiens ?), mais les «rocailleurs
rustiques» sont partout.
Dans les jardins de plaisance le rocailleur dispose d’une relative liberté pour s’exprimer. Ainsi les rocailles apparaissent-elles comme un lieu privilégié pour découvrir les rêves entremêlés de ceux qui les produisent : des artisans nourris de culture populaire et la nouvelle bourgeoisie, à la fois romantique et ouverte aux conquêtes industrielles et coloniales.
La poésie et la nostalgie de ces grottes, de ces fausses ruines
alimentent cette nouvelle forme d’art, à bien distinguer de l’Art
Nouveau car il s’agit souvent d’œuvres d’autodidactes au service de
nouvelles franges de citadins en quête de frissons exotiques et de rêves
rustiques voulant apprivoiser une nature qui fait peur.
Par rapport à leur contemporain qu’était le facteur Cheval (dont on
peut se demander s’il n’a pas lui-même suivi l’exemple de ces maçons) ou
par rapport aux habitants paysagistes créateurs d’environnement dits
Bruts, les rocailleurs étaient des inspirés à plein temps qui ont tenté
grâce à des constructions destinées à d’autres, de préserver une part de
création et de plaisir dans leur activité professionnelle.
Je reproduis également quelques cartes qui montrent des édifices
rustiques réalisés en bois ce qui les rendaient d’autant plus
vulnérables. On imagine bien la complexité à bâtir en ciment dans des
endroits reculés. Ici nous n’avons plus à faire à la poésie des ruines
mais plutôt à l’attrait pour les cabanes, les habitations des forets et
des champs et leurs «robinsonnades». Un bricolage rustique au service
d’une vie naturelle idéalisée, plus symbolique que réelle.
Puis, la mode passant, on s’est pudiquement détourné de cette
architecture produite par des artisans formés sur le tas. Beaucoup de
rocailles ont été détruites, délaissées et abandonnées aux intempéries, à
la végétation ou aux transformations. Les fausses ruines tombent en
ruine à leur tour ; une sorte de mise en abyme du temps. En ville et
surtout dans les anciens parcs, on trouve encore parfois quelques traces
de ces aménagements : un balcon, un petit pont ou une rambarde
d’escalier ayant échappé à la destruction. Parfois, je me prends à rêver
au retour de ces extravagances ; le désir d'habiter autrement et de
l'utopie d'un imaginaire de vie cristallisés.
Toutes images et cartes postales : collection JM Chesné - D.R.
Toutes images et cartes postales : collection JM Chesné - D.R.
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dimanche 2 octobre 2011
Les “Rencontres i” : l’autre façon de nous manipuler le cerveau
A l’occasion de l’édition 2011 des “Rencontres i”, biennale
Arts-Sciences de l’agglomération grenobloise, voici la présentation des
événements, spectacles et rencontres (ci-dessous).

***
Les “Rencontres i” : l’autre façon de nous manipuler le cerveau
Expérience : de ces deux groupes de mots, lequel vous séduit ? Répondez spontanément.
1) exploration sensible – écorce du vent – chemin d’eau – aventure scientifique – jardin mythique – instrument à improviser – figure du rebelle – questionnement onirique – apéro mathématiques – résistance – arbres à souhaits – splendeur lumineuse – appétit de curiosité – ponts entre les mondes – promenade ludique – sciences à roulettes ! – graines de rencontres – imaginons ensemble.
2) phtalates – plomb – mercure – pesticides – métaux lourds – neurotoxiques – cocktail chimique – nanoparticules – pollution – contamination – Parkinson – secret industriel – obésité – TOC – Alzheimer – épidémie silencieuse – électrodes – implant cérébral – manipulation du comportement – contrôle du cerveau – psychochirurgie – cobayes – compétition mondiale – homme-machine – possession technologique – post-humanité – empreinte cérébrale – société de contrainte.
Vous avez choisi ? Formidable. Ces deux listes décrivent la même réalité : l’activité de la technopole en cet automne 2011. Les nouveautés sur le front des techno-sciences. Tandis que s’achève la construction des bâtiments de Clinatec, la « clinique du cerveau » imaginée par le patron du CEA-Minatec, Jean Therme, et le neurochirurgien Alim-Louis Benabid, s’ouvre l’édition 2011 des « Rencontres i » conçues par le directeur de l’Hexagone, Scène nationale de Meylan – Antoine Conjard.
La première liste de mots est tirée de la plaquette de promotion de ces « rencontres entre arts et sciences » destinées à ouvrir « les portes de l’imagination ». La seconde vient de notre enquête sur les activités de Clinatec, le dernier fleuron de la Recherche & Développement grenobloise, et de ses promoteurs.
On sait depuis l’aveu de Jean Therme en 2006 que les technarques ont appelé à la rescousse des historiens, philosophes, artistes et autres spécialistes en sciences humaines pour « définir comment projeter les nanotechnologies dans l’imaginaire du grand public. »[1] Spontanément ou après réflexion, le « grand public » pressent du louche derrière les vagues incessantes de promesses technologiques. Il sait, le « grand public », qu’on n’arrête pas le progrès, et ne s’en réjouit guère. À vrai dire, plus le progrès va, plus le moral baisse, singulièrement en ces temps d’accélération technologique.
Edward Bernays, l’inventeur des public relations, expliquait dès 1928 : « La propagande modifie les images mentales que nous avons du monde (…) Elle prépare l’opinion à accueillir les nouvelles idées et inventions scientifiques en s’en faisant inlassablement l’interprète. Elle habitue le grand public au changement et au progrès. »[2] Il faut forcer l’enthousiasme des cobayes ; façonner leur imaginaire pour l’accorder au monde-laboratoire. Il faut, disent les communicants, leur raconter une histoire. Faire ludique et divertissant. C’est l’objet des « Rencontres i » - i pour imaginaire –, de leurs spectacles « originaux », propositions « audacieuses » et rendez-vous « excitants ». Les épithètes sont livrées, moyennant finances, par le logiciel publi-rédactionnel du Petit Bulletin, prospectus promotionnel hebdomadaire de la cuvette.
Les techno-maîtres remercient cette année la compagnie Ici-Même, prestataire en exploration-sensible-des-
Cette avalanche d’images, de sons, d’effets spéciaux, de parcours thématiques, de brainstorming, n’a, chacun le sait mais le tait, qu’un objectif : nous accoutumer à notre incarcération dans le monde-machine. Ou si l’on veut, rendre acceptable, désirable, la société de contrainte en germe dans les laboratoires. Les « Rencontres i » : l’autre façon de nous manipuler le cerveau.
Quant à nous qui ne sommes pas des Artistes, incapables que nous sommes de remplir les dossiers de subvention[3] , nous avons une autre histoire à vous conter. Celle, véritable, d’une innovation technologique qui une fois de plus va révolutionner nos vies.
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vendredi 30 septembre 2011
Misères de la Culture. A DADA.
Guy Debord voyait dans l’échec de la révolution prolétarienne l’immobilisation de dada. La simultanéité de ces deux événements souligne surtout la profondeur et l’efficacité du travail de l’ennemi gestionnaire, qui a réussi depuis Mazarin à cantonner la culture dans un lieu fermé, couvert et chauffé, le salon, et qui a habillé ceux qui prenaient à nouveau la rue pour débattre d’une bride étroite qui s’appelait le prolétariat, séparant ainsi l’assemblée humaine en deux. Dada est l’une des expressions de la révolution russe, et ses faiblesses participent de l’immobilisation des gueux, et de la victoire éphémère d’un prolétariat sur l’innommable gueuserie.
Dada est né par proclamation en 1916 à Zurich. Ce sont des opposants à la guerre de 1914-1918 qui se sont ainsi donné un nom collectif. La guerre de 1914-1918 est, selon tous les gestionnaires, une guerre d’impérialistes ; il est plus difficile de trouver des traces probantes d’une manœuvre abortive contre la prolifération des pauvres, et la difficile visibilité que les gestionnaires en avaient, d’Odessa, en 1905, à Jarry ou Cravan, inspirateurs de dada, d’une houle qui montait. De la « crise » dans les philosophies et les sciences à la « crise de la pensée occidentale », les signes d’une explosion de pensée signalaient aussi à la police de cette époque que, sans doute quelque part, les pauvres commençaient à parler entre eux. A la vague de révolte avant-coureur de la révolution russe qui secouait l’Europe et un peu au-delà a répondu la première grande vague de répression organisée sur un mode indirect. La répression de la vague principale de la révolution russe aura lieu vingt ans après, et elle s’appelle couramment la Seconde Guerre mondiale.
La courte vie de dada va de 1916 à 1922, et son cadavre a bougé encore jusqu’en 1924. Par une coïncidence que dada n’aurait pas démentie, cette existence se superpose avec la vague principale de la révolution russe (1917-1924). De Zurich, l’esprit dada – car on ne peut pas véritablement parler d’un mouvement – a essaimé vers trois places principales, Berlin, Paris, New York. Des traces importantes se retrouvent dans beaucoup d’autres villes du monde, mais pas à Moscou, Canton, Tokyo ou Londres.
« C’est l’irruption magistrale de l’irrationnel dans tous les domaines de l’art, de la poésie, de la science, dans la mode, dans la vie privée des individus, dans la vie publique des peuples. » En affirmant l’irrationnel, en encourageant le hasard, ce sont les vieilles catégories de la causalité et de la rationalité que dada prend à revers. Admettant même d’émettre deux avis opposés sur le même sujet, cultivant l’ambiguïté, l’inexplicite au profit du manifeste, dans les manifestes mêmes, il y eut là une singulière détermination à réfuter toute construction. Ce sont les règles de la pensée qui ont à souffrir de l’aliénation, dont les règles, s’il y en a, ne sont pas connues : dada a joué à démonter tout ce qui était censé permettre le cours des pensées construites ; et le cours qui en est issu paraît bien plus puissant et même doué d’une grande capacité à la vérité.
Le goût dada, goût furieux s’il en fut, pour le négatif, est l’écho stylisé de celui de la rue. En effet, la grande faiblesse de dada est de n’avoir été qu’un chahut. Ce fut une caricature de l’émeute dans le salon, que Camus a même traitée, un peu vite, de « nihilisme de salon ». Ces « émeutiers » de l’intérieur du régime voulaient bien tout casser dans le salon, et ils ont effectivement rendu périssables quelques positivités éternelles, quelques tableaux expressionnistes. Ils ont aussi essayé de rejoindre la rue, notamment pendant la fin de la révolte de 1918 à Berlin, mais ils n’ont finalement réussi qu’à casser les vitres de leur salon. Beaucoup moins nombreux que les émeutiers de la rue, ils n’ont pas réussi à faire de leur lieu de débat un lieu de rencontre, et ceci principalement parce qu’ils n’étaient pas anonymes : ils se connaissaient déjà avant de parler, et leur public, le plus souvent aussi. Pensifs, ils se sont arrêtés à bout d’idées négatives, un pied dans le salon, l’autre ayant enjambé l’embrasure de la vitre cassée. La police, occupée à des tâches plus urgentes, leur a continuellement tourné le dos.
L’humour dada, comme tout humour, n’est valide que dans les contextes particuliers où il naît. Fondé sur le ridicule, il a surtout tenté d’amoindrir ses cibles et a joué de l’association d’univers sans lien apparent. Il dénote d’une préméditation, certes courte, mais contraire à la spontanéité revendiquée, et d’un recul par rapport à ce qui est moqué et critiqué, qui place dada dans la position de supériorité du moqueur par rapport à son objet. Le rire dada a été une pratique bien autrement corrosive que l’humour dada : le rire emporte les doutes et les questions sur son passage, modifie le discours, soulève les épidermes et les sourcils, le rire est une des cassures les plus efficaces de la pensée consciente. Par le rire, qui est aussi une interruption de parole aussi effective qu’une alerte à la bombe, le changement de régime de la pensée peut permettre de pénétrer le royaume contre lequel la conscience se mure. En ce sens, dada a eu raison de voir en Zhuang Zhou le premier dadaïste.
Les compromissions des dadaïstes ont été de l’ordre de celles des assembléistes de Buenos Aires, cent ans plus tard. Comme les débats dans les assemblées argentines ont montré combien il était difficile de s’arracher à la middleclass, à l’évolution de laquelle on avait contribué de bonne foi, les dadaïstes n’ont pas réussi à nier véritablement leur propre origine dans la culture. Au cours de ses scandales sur scène, dada n’a pas mesuré que la scène est faite pour héberger de tels scandales. Et, à la fin, les spectateurs ne venaient plus voir des artistes en train de donner un spectacle, mais ils venaient pour voir et participer à un scandale. Choquer le bourgeois s’avéra aussi inopérant contre ses valeurs que se moquer du curé. Si cette expérience nous a appris quelque chose, c’est que ce n’est pas dans la culture que se critique la culture ; et que le scandale est une arme de domination de la société, quel que soit le sens dans lequel on le tourne : le terrorisme, le fait divers, la bonne pensée officieuse, et la morale middleclass sont là aujourd’hui pour en témoigner avec vigueur.
L’absence d’organisation de dada, son ouverture à tous et à tout, le fait ressembler encore bien davantage aux assemblées argentines de 2002. Sous leur nom ne signifiant rien se sont donc retrouvés, mais sans pouvoir, tous ceux qui voulaient seulement nier quelque chose. Il y eut donc des artistes carriéristes, des catholiques convaincus, des résidus d’autres mouvements culturels, des marxistes, des anarchistes, des hommes et des femmes dont certains se sont investis beaucoup et d’autres ne faisaient que passer lors d’un scandale, d’une manifestation. Mais dada n’a pas collaboré à la contre-révolution russe : à Zurich en 1916, Tzara habitait dans la même rue que Lénine, mais ils ne semblent pas s’être connus ; et, si une partie des dadaïstes berlinois a rejoint les rangs léninistes, comme Tzara d’ailleurs, c’était déjà après dada.
A partir de l’accélération des événements en Russie, mal connus il est vrai, on hésite à Zurich comme le médite Hugo Ball : « Le dadaïsme est-il en tant que geste la contrepartie du bolchevisme ? Oppose-t-il à la destruction et au règlement de compte définitif le côté complètement donquichottesque, inopportun et incompréhensible du monde ? Il serait intéressant d’observer ce qui se passe ici et là-bas » (juin 1917). La position proposée ici sous forme de questionnement est celle de la contre-allée de l’aliénation ici contre l’allée royale de la réalisation de la pensée là-bas, une question fondamentale de toute révolution. En 1918, pendant les semaines cruciales de l’insurrection de Berlin, les dadaïstes semblent avoir encore hésité au moment où, plus qu’ailleurs, leur spontanéité revendiquée était de mise. Alors que les dadaïstes communistes, Grosz, Herzfelde, Heartfield, rejoignaient la hiérarchie du parti d’avant-garde, les anarchistes, comme Huelsenbeck et Hausmann, parlaient d’une « succession ininterrompue de révolutions », et d’une « prolèture du dictariat », et le superdada Baader s’amusait, un demi-siècle avant Meinhof, à admettre que « le communisme est une arme dadaïste ».
La récupération, qu’elle soit « bourgeoise », au sens de Marx et de Bloy, ou prolétarienne, a été différée, au moins pendant sa vie, par la non-organisation de dada. Ce bâton de dynamite tant qu’il était allumé, et sans prise, a finalement été aussi difficile à manier pour ses artificiers. Leur négativité très inégale s’est elle-même contredite, selon l’irrationalité revendiquée : ainsi a-t-on distingué entre les dadaïstes de l’écrit, négativistes, et les dadaïstes de l’image, positivistes ; ainsi, restant à Zurich désertée après 1918, s’est formé là un noyau d’artistes positifs qui soutenaient l’Etat, et parfois la religion, autour de Arp, Richter, et Janco ; ainsi, trente ans plus tard, Ribemont-Dessaignes et Huelsenbeck affirmaient logiquement, contre le cliché négativiste, que dada avait pris position. Aucun des principaux animateurs de dada n’a réussi à s’évader du salon, malgré les exemples qu’avaient donnés leurs précurseurs Cravan et Vaché. Après la mort du mouvement, tous se sont recasés dans la culture dominante. Même leur jeunesse a été démentie : ils sont morts vieux, assis sur les rentes de leurs scandales.
La glorification de l’individu est sans doute très présente chez dada. Mais chaque individu qui a participé à cette ire joyeuse est subsumé au nom commun, dada, qui ne veut rien dire. C’est cette identité commune qui a permis à quelques individus, les plus engagés et ceux auxquels les propriétaires du salon reconnurent le plus de talent, d’être mis en valeur. Même à travers les multiples médiations du siècle, si fétichiste de l’individu, le nom dada sonne de manière incomparablement plus précise, prestigieuse et significative que celui de n’importe lequel de ses membres. C’est là aussi une marque de l’aliénation. « Pris dans son unicité fonctionnelle, DADA nous a paru à chaque fois devoir être ramené au seul mot Dieu, de statut identique », constatera le linguiste que dada a mérité.
Au-delà de l’ambiance dada, c’est son efficacité, ce que dada a réalisé, et son inefficacité, ce que dada a légué à l’ennemi, qui interpellent. La fulgurance, l’attaque soudaine, un véritable goût du négatif ont permis à dada d’ébrécher de nombreux fondements de la société en place ; mais tout ce que dada n’a pas réussi à approfondir, et même à trancher, a pu être utilisé par elle. C’est pourquoi de nombreuses atteintes de dada nous paraissent aujourd’hui si familières qu’elles font partie de ce que nous combattons. Si l’attitude de dada marque d’abord la première façon non hostile d’explorer l’aliénation, et si son état d’esprit ensuite indique une façon d’attaquer le conservatisme sous de nombreuses formes, les doutes, les incertitudes et, par-dessus tout l’incapacité de dada à dépasser cet état d’esprit constituent son héritage contrasté et singulier.
Une des principales cibles de dada a été la logique. Il est remarquable que l’époque de la révolution russe peut se diviser en deux camps en fonction de la logique, et qu’à aucun moment la logique n’est alors entendue comme celle de Hegel, qui est restée sans critique ni dépassement, mais comme la seule logique formelle. D’un côté les défenseurs d’une rigueur qui va jusqu’à oublier le contenu, la filiation Frege, Russell, Wittgenstein, Carnap, puis la phénoménologie, qui quitte cependant la logique fétichisée, puis tous ceux qui prétendent à la « science », y compris les psychanalystes et les marxistes léninistes, puis tout le petit peuple de la science et du matérialisme, dilettantes et ignares, qui croit en la logique mais ne la pratique guère dans la vie ; de l’autre les marxistes, qui à travers Lukács et l’école de Francfort au moins ont montré la filiation mercantile de la logique formelle, et dada pour qui la logique est une crispation contre les vastes plaines de l’irrationnel; et entre les deux, les physiciens, qui ne sont pas parvenus à éliminer l’irrationnel, et qui en admettent, sans pousser les conséquences, la part irréductible.
Dada n’a pas théorisé sa critique de la logique. Mais il l’a pratiquée sans cesse. D’abord, dada admet la contradiction et soutient des propositions contradictoires sur le même sujet, ce qui affaiblit ces propositions, mais ouvre le débat. Ensuite, dada critique la conscience en se propulsant dans l’inconscient, et en attaquant partout la logique comme une carapace de la conscience contre l’inconscient, de sorte à ce que le débat se mène au-delà de la conscience. Dada est le seul mouvement à avoir critiqué et réfuté l’intelligence, valeur du régime en place. Il est vrai que l’intelligence peut être vue comme l’état-major de la conscience, et les différences que le siècle a prétendu mesurer, dans l’intelligence, hiérarchisent les individus à l’intérieur de cette société. A travers les surréalistes et les situationnistes, héritiers de dada, l’intelligence a été réhabilitée, non sans bêtise. Enfin, c’est tout système que dada refuse. Un système est bien l’unité retrouvée pour la conscience, et même l’irrationnel auquel s’adonne la fougue dada ne peut pas être systématique.
Il pouvait sembler logique que la psychanalyse, qui avait ouvertement annoncé l’exploration de l’inconscient, soit applaudie par dada. C’est le contraire qui s’est produit, et il s’agit là certainement, pour ce temps-là, d’un des ordres du jour principaux du débat de l’humanité sur elle-même. Contre la « psycho-banalise » qui cherche à déchiffrer l’inconscient pour la conscience, dada a fait valoir une pratique délibérée de l’inconscient, qui déborde la conscience. Alors que la psychanalyse propose de coloniser l’inconscient par davantage de conscience, dada, au nom de l’inconscient, démolit les bastions et les redoutes de la conscience. Ce combat, initié au début de la révolution russe, reste encore obscur parce qu’il s’est mené à travers trop de médiations, et parce qu’il peut être relié à trop d’autres combats qui sont des massacres d’arrière-garde : ainsi, l’aliénation religieuse, ou les socialismes, nationaux ou staliniens, arrivant au pouvoir, ont aussi été considérés, au second degré, comme victoires de l’inconscient sur le conscient. Mais la ligne de partage tracée entre dada et la psychanalyse pour l’usage de l’inconscient par l’humain reste l’un des tracés les plus opérationnels de dada. Le camp que dada a inauguré est celui de l’exploration éphémère et irréversible de la pensée non consciente contre son exploitation au profit de la conscience.
Le champ de bataille de dada est donc ainsi délimité : le salon est trop petit, la conscience est trop petite. Contre les murailles de ces divisions de l’humanité, dada a utilisé et épuisé son négatif. Mais la mise en œuvre même de ce négatif, avant de se figer à son tour en position, a été une revendication positive : la vie. Cette exigence de vie est une des plus prisées au début du XXe siècle. Elle a été considérée comme le négatif immédiat de la guerre meurtrière des Etats, dans la vieille opposition fausse où la vie serait le contraire de la mort, mais elle est aussi présente au milieu des sciences positives et de la néophilosophie, celle de Bergson par exemple. C’est cette revendication dadaïste qui s’est ensuite trouvée réaffirmée par les surréalistes et théorisée par les situationnistes, notamment dans leur division entre vie et survie, division qui semble aujourd’hui encore opérationnelle. La vie comme justification et fondement du négatif, ce but qui n’en est pas un parce qu’il échoue à même esquisser sa réalisation, a finalement abouti, épuisé et magnifié, au modedevitisme de Debord, où la vanité l’emporte sur le projet.
Cette revendication de la vie, dont le rire est un signal libérateur, est liée à une dimension de la vie bourgeoise qui a hanté la culture jusqu’à la fin du XXe siècle, mais qui a grandement disparu aujourd’hui : l’ennui. Du spleen de Baudelaire, en passant par le dandysme, l’ennui est resté une préoccupation majeure jusqu’aux situationnistes inclus. Et la lutte contre ce parasite commençait dans la critique du carcan moral à l’intérieur duquel il proliférait. Aussi, la salubre critique de la famille, que dada a très tôt soulevée et qui n’a jamais été reprise de manière conséquente depuis, mais aussi celle des valeurs en vogue en son temps, comme le patriotisme, pour arriver à la critique de toutes les valeurs morales, semble d’abord provenir de la critique de l’ennui.
La vraie tranchée de 14-18 de dada est son attitude dans la culture, cet ennuyeux vaccin contre l’ennui. Les dadaïstes venaient de la culture, et ils y sont restés englués, malgré quelques louables efforts d’évasion. Le statut de la culture et de l’art, entre bouffon et sacré, a même grandement servi à l’impertinence et à la mise en cause du bourgeois et de son monde. Le XIXe siècle est même sans doute le siècle où l’art et la culture s’émancipent apparemment de leurs maîtres, parce que le discours qu’exprime ce bibelot du salon qui commence à se prendre au sérieux n’est le reflet que d’un maître abstrait, collectif et contradictoire. L’art et la culture avaient donc acquis, dans le monde de la gestion dont ils sont une sorte d’écume, une indépendance et un respect qui tendaient à les hypostasier.
Le rejet, au moins majoritaire, de Dieu a entraîné chez dada un refus de l’absolu. Mais la fascination profonde de l’infini, vu comme libérateur, ou comme champ du possible, situe bien combien peu dada avait réussi à se libérer des profondes impositions de la religion. Dans les rues du monde, où le débat de l’humanité a été esquissé, pendant ce siècle, il n’est pas rare de trouver cette religiosité, qui consiste à croire en l’infini, chez des pauvres sincèrement convaincus d’en avoir fini, pour eux-mêmes, avec la religion.
Ignorant de la totalité, ne s’élevant pas à l’histoire, contradictoire face à la révolution alors même qu’elle faisait rage, mais drôle, acerbe, attaquant tout et chacun, jeune et vivant, pratiquant l’aliénation, dada est un avant-coureur du gueux du XXe siècle, au moment où il apparaît hissé hors des énormes marécages à tristesse et à défaite du quotidien. Chez ce frimeur et provocateur, l’esbroufe et la désinvolture seront à la fois le charme et la faiblesse fatals qui, en définitive, dissimulent toujours son manque à penser hardiment derrière un courage à s’exposer. Ainsi la contre-vérité de Tzara, « la vérité n’existe pas », semble-t-elle extraite de la devise des pauvres modernes, ainsi l’affirmation que toute action est vaine rejoint-elle ce relativisme absolu qui a été l’une des impasses du possible du parti des gueux.
De même, les pauvres modernes d’avant une middleclass semblent avoir emprunté leur comportement moral, lui aussi davantage marqué par l’ostentation que par la réflexion, à celui de dada : « Dada pourrait être criminel ou lâche ou ravageur, ou voleur, mais non justicier » ; « Il n’y a aucune différence spécifique entre un policier et un voleur. Toutefois, il faut reconnaître que le bandit atteint plus naturellement à l’héroïsme ».
Dada est né par proclamation en 1916 à Zurich. Ce sont des opposants à la guerre de 1914-1918 qui se sont ainsi donné un nom collectif. La guerre de 1914-1918 est, selon tous les gestionnaires, une guerre d’impérialistes ; il est plus difficile de trouver des traces probantes d’une manœuvre abortive contre la prolifération des pauvres, et la difficile visibilité que les gestionnaires en avaient, d’Odessa, en 1905, à Jarry ou Cravan, inspirateurs de dada, d’une houle qui montait. De la « crise » dans les philosophies et les sciences à la « crise de la pensée occidentale », les signes d’une explosion de pensée signalaient aussi à la police de cette époque que, sans doute quelque part, les pauvres commençaient à parler entre eux. A la vague de révolte avant-coureur de la révolution russe qui secouait l’Europe et un peu au-delà a répondu la première grande vague de répression organisée sur un mode indirect. La répression de la vague principale de la révolution russe aura lieu vingt ans après, et elle s’appelle couramment la Seconde Guerre mondiale.
La courte vie de dada va de 1916 à 1922, et son cadavre a bougé encore jusqu’en 1924. Par une coïncidence que dada n’aurait pas démentie, cette existence se superpose avec la vague principale de la révolution russe (1917-1924). De Zurich, l’esprit dada – car on ne peut pas véritablement parler d’un mouvement – a essaimé vers trois places principales, Berlin, Paris, New York. Des traces importantes se retrouvent dans beaucoup d’autres villes du monde, mais pas à Moscou, Canton, Tokyo ou Londres.
Dada représente un éclatement de l’esprit dominant, ou plus exactement, une critique elle-même éclatée de cet éclatement. Car dada est d’abord une façon d’être, un comportement, un état d’esprit. C’est un jeu auquel les adolescents sont très aptes : le chahut, Krawall en allemand, qui veut dire aussi émeute. Le rire et le sérieux, la pertinence et l’impertinence alternent à vive allure, le cri s’empare de la phrase, la syntaxe tant pis. De même, la provocation et le scandale ont été systématiquement recherchés et exploités. Un siècle plus tard, nous reconnaissons là une technique pour entrer dans l’aliénation : chaque chose peut devenir prétexte à délire, et le délire des autres est poussé et encouragé, avant même d’être jugé. L’irrationnel n’est pas combattu mais aggravé : il sert de relance, de trampoline, de fond de champ, de décor grotesque. L’entraînement réciproque et la synergie du groupe lui livrent ce à quoi l’individu et la conscience ne peuvent pas avoir accès. L’accélérateur de pensées est constamment sollicité ; la réflexion est repoussée au second plan. C’est un rythme, un régime, un univers particulier et éphémère dans sa mise en action même. Dada, par goût, a furieusement pratiqué l’aliénation. Il semble même que l’aliénation n’avait pas encore été à ce point exaltée sur aucune place publique. Cette importante nouveauté qui fait que des humains en groupe pratiquent et favorisent ouvertement la pensée qui est étrangère à elle-même, est même, à côté des conseils ouvriers, la seule nouveauté de la révolution russe que l’ennemi nous a transmise ; c’est son ignorance de la subversion contenue dans dada qui a permis que ses procès-verbaux viennent jusqu’à nous, au contraire des débats publics ouvertement subversifs dans les rues de Moscou et de Berlin.
« C’est l’irruption magistrale de l’irrationnel dans tous les domaines de l’art, de la poésie, de la science, dans la mode, dans la vie privée des individus, dans la vie publique des peuples. » En affirmant l’irrationnel, en encourageant le hasard, ce sont les vieilles catégories de la causalité et de la rationalité que dada prend à revers. Admettant même d’émettre deux avis opposés sur le même sujet, cultivant l’ambiguïté, l’inexplicite au profit du manifeste, dans les manifestes mêmes, il y eut là une singulière détermination à réfuter toute construction. Ce sont les règles de la pensée qui ont à souffrir de l’aliénation, dont les règles, s’il y en a, ne sont pas connues : dada a joué à démonter tout ce qui était censé permettre le cours des pensées construites ; et le cours qui en est issu paraît bien plus puissant et même doué d’une grande capacité à la vérité.
Ennemi déclaré de toute logique, qui est la police de la conscience, et même de la bonne conscience, dada est d’abord une pratique inédite du négatif. Dada a attaqué la société en place, pas selon une analyse de classe, mais selon une haine et un mépris pour le bourgeois, non le bourgeois au sens de Karl Marx, mais le bourgeois au sens de Léon Bloy. Cette destruction des valeurs dominantes a ratissé en superficie, sans aller jamais en profondeur. Ce parti pris de superficialité a permis d’attaquer pêle-mêle, dans une absence de hiérarchie revendiquée, beaucoup de valeurs positives : Dieu, la religion, la société, le bourgeois, la famille, la logique, l’intelligence, la morale, la guerre, l’art, la culture, la beauté, la psychanalyse, le travail, tout cela a été souffleté, mais non soufflé. Au siècle, dada a imprimé le goût de la désacralisation, mais il lui a donné une allure de fin en soi qui continue à perpétuer ce qui est méprisé. Le négatif comme style, comme pose, comme frime nous vient aussi de dada. Cette pratique négative niveleuse, qui nivelle le négatif lui-même, est bien une trace de l’aliénation, une façon de modifier ce qui est caduc sans l’anéantir.
Le goût dada, goût furieux s’il en fut, pour le négatif, est l’écho stylisé de celui de la rue. En effet, la grande faiblesse de dada est de n’avoir été qu’un chahut. Ce fut une caricature de l’émeute dans le salon, que Camus a même traitée, un peu vite, de « nihilisme de salon ». Ces « émeutiers » de l’intérieur du régime voulaient bien tout casser dans le salon, et ils ont effectivement rendu périssables quelques positivités éternelles, quelques tableaux expressionnistes. Ils ont aussi essayé de rejoindre la rue, notamment pendant la fin de la révolte de 1918 à Berlin, mais ils n’ont finalement réussi qu’à casser les vitres de leur salon. Beaucoup moins nombreux que les émeutiers de la rue, ils n’ont pas réussi à faire de leur lieu de débat un lieu de rencontre, et ceci principalement parce qu’ils n’étaient pas anonymes : ils se connaissaient déjà avant de parler, et leur public, le plus souvent aussi. Pensifs, ils se sont arrêtés à bout d’idées négatives, un pied dans le salon, l’autre ayant enjambé l’embrasure de la vitre cassée. La police, occupée à des tâches plus urgentes, leur a continuellement tourné le dos.
L’humour dada, comme tout humour, n’est valide que dans les contextes particuliers où il naît. Fondé sur le ridicule, il a surtout tenté d’amoindrir ses cibles et a joué de l’association d’univers sans lien apparent. Il dénote d’une préméditation, certes courte, mais contraire à la spontanéité revendiquée, et d’un recul par rapport à ce qui est moqué et critiqué, qui place dada dans la position de supériorité du moqueur par rapport à son objet. Le rire dada a été une pratique bien autrement corrosive que l’humour dada : le rire emporte les doutes et les questions sur son passage, modifie le discours, soulève les épidermes et les sourcils, le rire est une des cassures les plus efficaces de la pensée consciente. Par le rire, qui est aussi une interruption de parole aussi effective qu’une alerte à la bombe, le changement de régime de la pensée peut permettre de pénétrer le royaume contre lequel la conscience se mure. En ce sens, dada a eu raison de voir en Zhuang Zhou le premier dadaïste.
Les compromissions des dadaïstes ont été de l’ordre de celles des assembléistes de Buenos Aires, cent ans plus tard. Comme les débats dans les assemblées argentines ont montré combien il était difficile de s’arracher à la middleclass, à l’évolution de laquelle on avait contribué de bonne foi, les dadaïstes n’ont pas réussi à nier véritablement leur propre origine dans la culture. Au cours de ses scandales sur scène, dada n’a pas mesuré que la scène est faite pour héberger de tels scandales. Et, à la fin, les spectateurs ne venaient plus voir des artistes en train de donner un spectacle, mais ils venaient pour voir et participer à un scandale. Choquer le bourgeois s’avéra aussi inopérant contre ses valeurs que se moquer du curé. Si cette expérience nous a appris quelque chose, c’est que ce n’est pas dans la culture que se critique la culture ; et que le scandale est une arme de domination de la société, quel que soit le sens dans lequel on le tourne : le terrorisme, le fait divers, la bonne pensée officieuse, et la morale middleclass sont là aujourd’hui pour en témoigner avec vigueur.
L’absence d’organisation de dada, son ouverture à tous et à tout, le fait ressembler encore bien davantage aux assemblées argentines de 2002. Sous leur nom ne signifiant rien se sont donc retrouvés, mais sans pouvoir, tous ceux qui voulaient seulement nier quelque chose. Il y eut donc des artistes carriéristes, des catholiques convaincus, des résidus d’autres mouvements culturels, des marxistes, des anarchistes, des hommes et des femmes dont certains se sont investis beaucoup et d’autres ne faisaient que passer lors d’un scandale, d’une manifestation. Mais dada n’a pas collaboré à la contre-révolution russe : à Zurich en 1916, Tzara habitait dans la même rue que Lénine, mais ils ne semblent pas s’être connus ; et, si une partie des dadaïstes berlinois a rejoint les rangs léninistes, comme Tzara d’ailleurs, c’était déjà après dada.
A partir de l’accélération des événements en Russie, mal connus il est vrai, on hésite à Zurich comme le médite Hugo Ball : « Le dadaïsme est-il en tant que geste la contrepartie du bolchevisme ? Oppose-t-il à la destruction et au règlement de compte définitif le côté complètement donquichottesque, inopportun et incompréhensible du monde ? Il serait intéressant d’observer ce qui se passe ici et là-bas » (juin 1917). La position proposée ici sous forme de questionnement est celle de la contre-allée de l’aliénation ici contre l’allée royale de la réalisation de la pensée là-bas, une question fondamentale de toute révolution. En 1918, pendant les semaines cruciales de l’insurrection de Berlin, les dadaïstes semblent avoir encore hésité au moment où, plus qu’ailleurs, leur spontanéité revendiquée était de mise. Alors que les dadaïstes communistes, Grosz, Herzfelde, Heartfield, rejoignaient la hiérarchie du parti d’avant-garde, les anarchistes, comme Huelsenbeck et Hausmann, parlaient d’une « succession ininterrompue de révolutions », et d’une « prolèture du dictariat », et le superdada Baader s’amusait, un demi-siècle avant Meinhof, à admettre que « le communisme est une arme dadaïste ».
La récupération, qu’elle soit « bourgeoise », au sens de Marx et de Bloy, ou prolétarienne, a été différée, au moins pendant sa vie, par la non-organisation de dada. Ce bâton de dynamite tant qu’il était allumé, et sans prise, a finalement été aussi difficile à manier pour ses artificiers. Leur négativité très inégale s’est elle-même contredite, selon l’irrationalité revendiquée : ainsi a-t-on distingué entre les dadaïstes de l’écrit, négativistes, et les dadaïstes de l’image, positivistes ; ainsi, restant à Zurich désertée après 1918, s’est formé là un noyau d’artistes positifs qui soutenaient l’Etat, et parfois la religion, autour de Arp, Richter, et Janco ; ainsi, trente ans plus tard, Ribemont-Dessaignes et Huelsenbeck affirmaient logiquement, contre le cliché négativiste, que dada avait pris position. Aucun des principaux animateurs de dada n’a réussi à s’évader du salon, malgré les exemples qu’avaient donnés leurs précurseurs Cravan et Vaché. Après la mort du mouvement, tous se sont recasés dans la culture dominante. Même leur jeunesse a été démentie : ils sont morts vieux, assis sur les rentes de leurs scandales.
La glorification de l’individu est sans doute très présente chez dada. Mais chaque individu qui a participé à cette ire joyeuse est subsumé au nom commun, dada, qui ne veut rien dire. C’est cette identité commune qui a permis à quelques individus, les plus engagés et ceux auxquels les propriétaires du salon reconnurent le plus de talent, d’être mis en valeur. Même à travers les multiples médiations du siècle, si fétichiste de l’individu, le nom dada sonne de manière incomparablement plus précise, prestigieuse et significative que celui de n’importe lequel de ses membres. C’est là aussi une marque de l’aliénation. « Pris dans son unicité fonctionnelle, DADA nous a paru à chaque fois devoir être ramené au seul mot Dieu, de statut identique », constatera le linguiste que dada a mérité.
Au-delà de l’ambiance dada, c’est son efficacité, ce que dada a réalisé, et son inefficacité, ce que dada a légué à l’ennemi, qui interpellent. La fulgurance, l’attaque soudaine, un véritable goût du négatif ont permis à dada d’ébrécher de nombreux fondements de la société en place ; mais tout ce que dada n’a pas réussi à approfondir, et même à trancher, a pu être utilisé par elle. C’est pourquoi de nombreuses atteintes de dada nous paraissent aujourd’hui si familières qu’elles font partie de ce que nous combattons. Si l’attitude de dada marque d’abord la première façon non hostile d’explorer l’aliénation, et si son état d’esprit ensuite indique une façon d’attaquer le conservatisme sous de nombreuses formes, les doutes, les incertitudes et, par-dessus tout l’incapacité de dada à dépasser cet état d’esprit constituent son héritage contrasté et singulier.
Une des principales cibles de dada a été la logique. Il est remarquable que l’époque de la révolution russe peut se diviser en deux camps en fonction de la logique, et qu’à aucun moment la logique n’est alors entendue comme celle de Hegel, qui est restée sans critique ni dépassement, mais comme la seule logique formelle. D’un côté les défenseurs d’une rigueur qui va jusqu’à oublier le contenu, la filiation Frege, Russell, Wittgenstein, Carnap, puis la phénoménologie, qui quitte cependant la logique fétichisée, puis tous ceux qui prétendent à la « science », y compris les psychanalystes et les marxistes léninistes, puis tout le petit peuple de la science et du matérialisme, dilettantes et ignares, qui croit en la logique mais ne la pratique guère dans la vie ; de l’autre les marxistes, qui à travers Lukács et l’école de Francfort au moins ont montré la filiation mercantile de la logique formelle, et dada pour qui la logique est une crispation contre les vastes plaines de l’irrationnel; et entre les deux, les physiciens, qui ne sont pas parvenus à éliminer l’irrationnel, et qui en admettent, sans pousser les conséquences, la part irréductible.
Dada n’a pas théorisé sa critique de la logique. Mais il l’a pratiquée sans cesse. D’abord, dada admet la contradiction et soutient des propositions contradictoires sur le même sujet, ce qui affaiblit ces propositions, mais ouvre le débat. Ensuite, dada critique la conscience en se propulsant dans l’inconscient, et en attaquant partout la logique comme une carapace de la conscience contre l’inconscient, de sorte à ce que le débat se mène au-delà de la conscience. Dada est le seul mouvement à avoir critiqué et réfuté l’intelligence, valeur du régime en place. Il est vrai que l’intelligence peut être vue comme l’état-major de la conscience, et les différences que le siècle a prétendu mesurer, dans l’intelligence, hiérarchisent les individus à l’intérieur de cette société. A travers les surréalistes et les situationnistes, héritiers de dada, l’intelligence a été réhabilitée, non sans bêtise. Enfin, c’est tout système que dada refuse. Un système est bien l’unité retrouvée pour la conscience, et même l’irrationnel auquel s’adonne la fougue dada ne peut pas être systématique.
Il pouvait sembler logique que la psychanalyse, qui avait ouvertement annoncé l’exploration de l’inconscient, soit applaudie par dada. C’est le contraire qui s’est produit, et il s’agit là certainement, pour ce temps-là, d’un des ordres du jour principaux du débat de l’humanité sur elle-même. Contre la « psycho-banalise » qui cherche à déchiffrer l’inconscient pour la conscience, dada a fait valoir une pratique délibérée de l’inconscient, qui déborde la conscience. Alors que la psychanalyse propose de coloniser l’inconscient par davantage de conscience, dada, au nom de l’inconscient, démolit les bastions et les redoutes de la conscience. Ce combat, initié au début de la révolution russe, reste encore obscur parce qu’il s’est mené à travers trop de médiations, et parce qu’il peut être relié à trop d’autres combats qui sont des massacres d’arrière-garde : ainsi, l’aliénation religieuse, ou les socialismes, nationaux ou staliniens, arrivant au pouvoir, ont aussi été considérés, au second degré, comme victoires de l’inconscient sur le conscient. Mais la ligne de partage tracée entre dada et la psychanalyse pour l’usage de l’inconscient par l’humain reste l’un des tracés les plus opérationnels de dada. Le camp que dada a inauguré est celui de l’exploration éphémère et irréversible de la pensée non consciente contre son exploitation au profit de la conscience.
Le champ de bataille de dada est donc ainsi délimité : le salon est trop petit, la conscience est trop petite. Contre les murailles de ces divisions de l’humanité, dada a utilisé et épuisé son négatif. Mais la mise en œuvre même de ce négatif, avant de se figer à son tour en position, a été une revendication positive : la vie. Cette exigence de vie est une des plus prisées au début du XXe siècle. Elle a été considérée comme le négatif immédiat de la guerre meurtrière des Etats, dans la vieille opposition fausse où la vie serait le contraire de la mort, mais elle est aussi présente au milieu des sciences positives et de la néophilosophie, celle de Bergson par exemple. C’est cette revendication dadaïste qui s’est ensuite trouvée réaffirmée par les surréalistes et théorisée par les situationnistes, notamment dans leur division entre vie et survie, division qui semble aujourd’hui encore opérationnelle. La vie comme justification et fondement du négatif, ce but qui n’en est pas un parce qu’il échoue à même esquisser sa réalisation, a finalement abouti, épuisé et magnifié, au modedevitisme de Debord, où la vanité l’emporte sur le projet.
Cette revendication de la vie, dont le rire est un signal libérateur, est liée à une dimension de la vie bourgeoise qui a hanté la culture jusqu’à la fin du XXe siècle, mais qui a grandement disparu aujourd’hui : l’ennui. Du spleen de Baudelaire, en passant par le dandysme, l’ennui est resté une préoccupation majeure jusqu’aux situationnistes inclus. Et la lutte contre ce parasite commençait dans la critique du carcan moral à l’intérieur duquel il proliférait. Aussi, la salubre critique de la famille, que dada a très tôt soulevée et qui n’a jamais été reprise de manière conséquente depuis, mais aussi celle des valeurs en vogue en son temps, comme le patriotisme, pour arriver à la critique de toutes les valeurs morales, semble d’abord provenir de la critique de l’ennui.
La société en place s’est chargée de résorber l’ennui. A travers les écrans qui occupent maintenant les pauvres au-delà de leurs sollicitations, à travers le bruit de la musique qui envahit tout le temps l’attention, c’est l’angoisse, c’est la peur, c’est le désarroi qui ont remplacé l’ennui ; et cette inquiétude généralisée des pauvres, qui ont perdu la capacité de la vue d’ensemble, est assez éloignée de celle de Heidegger. Sans cesse occupés par des loisirs agressifs, dont la culture est la maquerelle, les pauvres ont ainsi été délivrés de l’ennui, d’une manière que dada n’imaginait pas, mais qu’ils lui doivent en partie. Car si dada n’a contribué qu’à une entreprise, c’est celle de l’élargissement considérable qu’a connu la culture – la dispute de salon – depuis cent ans.
Dans sa fureur destructrice, dada a voulu aussi s’en prendre à soi-même, à travers une attaque contre l’art et la culture. Nous connaissons bien ce phénomène, puisqu’il est similaire à la volonté de critique de l’information dominante dans l’information dominante. Dada a simplement inauguré l’illusion de la critique sans la sanction de la rupture : on ne peut pas critiquer la famille sans rompre avec la famille, on ne peut pas critiquer l’art et la culture sans rompre avec l’art et la culture. Dans l’art, dada s’en est pris seulement aux courants de l’art moderne : l’expressionnisme, l’art abstrait, le futurisme ; mais l’art en général a été épargné. En effet, la plupart des dadaïstes n’imaginaient même pas gagner leur survie hors de la culture. Comme dada n’a pas rompu, il est devenu, après sa mort, un membre éminent de la famille Art et Culture, le fils prodigue qui avait largement repoussé les limites du possible sans rien mettre en danger. Embaumé, le cadavre de dada a bien rendu justice à la formule d’Eluard, mais probablement au sens inverse où il l’entendait, « disparaître, c’est réussir ». Alors que Duchamp avait introduit la pissotière dans les galeries d’art en 1917, au grand scandale de ses contemporains, en 1993, lorsqu’un particulier tente de lui rendre son rôle d’urinoir, « pour prolonger la provocation de Duchamp », il est arrêté et condamné ; dans le monde gestionnaire, l’objet a eu raison du geste, la pérennisation a triomphé de l’éphémère, et la fétichisation a pu apprivoiser le scandale.
La colère ne suffit pas en elle-même. L’immédiateté est un leurre. La critique des valeurs dominantes ne peut pas se faire sur un seul mode de pensée, sur un seul rythme, fût-il très élevé, c’est ce que l’expérience dada, pensant jouer avec la culture, a permis de conclure. La dévaluation que dada a fait subir à l’art et la culture, en l’ouvrant au ridicule et à l’irrespect, en déstructurant bien davantage le concret et le figuratif que ne l’ont fait à leur corps défendant les artistes de l’art abstrait, est à la fois le début de la culture pour tous et de la visibilité du vide de contenu de l’art. Depuis dada, la culture s’est étendue d’une secousse brutale à travers toutes les barrières que dada a cassées, et l’art s’est bien révélé n’être qu’au rang d’un urinoir. Les suites du procès du continuateur isolé de Duchamp montrent d’ailleurs que l’art, comme porte-parole de l’esthétique de ses maîtres, les gestionnaires, s’avère bien n’être essentiellement que marchandise, lustrée par quelques illusions entretenues pendant les quatre siècles précédents.
STEP 4 - THE DOORS from SILVERADO SOCIAL PATROL
Que dada n’ait pas trouvé au bout de l’intensité de la vie l’histoire, est toute sa limite. Trop jeune, trop court, trop vif, trop superficiel, dada refuse tout ce qui est au-delà du constat négatif, tout ce qui implique le projet, tout ce qui implique la hiérarchie des valeurs qui oppose, par exemple, le couple vie-histoire à sa caricature dans la résignation, survie-quotidien. C’est là où le mode de pensée, où l’état d’esprit ont manqué d’embrayage, de dépassement. Pourtant, du point de vue téléologique de l’histoire, dada fait l’histoire par sa brève et folle course à travers le salon où l’on cause, le poignard à la main, laissant mille égratignures, plaies, blessures, et peut-être même quelques morts sur son passage dévastateur.
STEP 4 - THE DOORS from SILVERADO SOCIAL PATROL
Le rejet, au moins majoritaire, de Dieu a entraîné chez dada un refus de l’absolu. Mais la fascination profonde de l’infini, vu comme libérateur, ou comme champ du possible, situe bien combien peu dada avait réussi à se libérer des profondes impositions de la religion. Dans les rues du monde, où le débat de l’humanité a été esquissé, pendant ce siècle, il n’est pas rare de trouver cette religiosité, qui consiste à croire en l’infini, chez des pauvres sincèrement convaincus d’en avoir fini, pour eux-mêmes, avec la religion.
Ignorant de la totalité, ne s’élevant pas à l’histoire, contradictoire face à la révolution alors même qu’elle faisait rage, mais drôle, acerbe, attaquant tout et chacun, jeune et vivant, pratiquant l’aliénation, dada est un avant-coureur du gueux du XXe siècle, au moment où il apparaît hissé hors des énormes marécages à tristesse et à défaite du quotidien. Chez ce frimeur et provocateur, l’esbroufe et la désinvolture seront à la fois le charme et la faiblesse fatals qui, en définitive, dissimulent toujours son manque à penser hardiment derrière un courage à s’exposer. Ainsi la contre-vérité de Tzara, « la vérité n’existe pas », semble-t-elle extraite de la devise des pauvres modernes, ainsi l’affirmation que toute action est vaine rejoint-elle ce relativisme absolu qui a été l’une des impasses du possible du parti des gueux.
De même, les pauvres modernes d’avant une middleclass semblent avoir emprunté leur comportement moral, lui aussi davantage marqué par l’ostentation que par la réflexion, à celui de dada : « Dada pourrait être criminel ou lâche ou ravageur, ou voleur, mais non justicier » ; « Il n’y a aucune différence spécifique entre un policier et un voleur. Toutefois, il faut reconnaître que le bandit atteint plus naturellement à l’héroïsme ».
jeudi 29 septembre 2011
Misères de la Culture. L'art abstrait. La "Révolution" Russe
Toute révolution est donc
d’abord une révolte contre la culture, car toute révolution est d’abord
le fait de poser la question de la totalité dans la rue. La
révolution russe fût donc l’ennemie de la culture. Mais il faut ici
rappeler que ce qui doit être appelé « révolution russe » commence avant
1917, et que cette révolution est à la fois l’affirmation et
l’accélération en actes de la poussée d’aliénation de l’époque de la
révolution française, et la négation de l’usage de cette aliénation par
la société en place. Cette double poussée est donc aussi perceptible
dans tous les autres domaines où l’humain a essayé d’organiser la
pensée.
La culture et l’art sont des témoins
particuliers de cette mutation, et de cette rupture qu’était la
révolution – rupture qui a d’ailleurs échoué. Pressé par une demande
d’innovation impitoyable, mais aussi perdant le fil du discours, l’art
en particulier a connu un émiettement qui n’avait pas eu d’équivalent
jusque-là. Ensuite, on s’aperçut que l’art n’était que cela : explosion et émiettement. Mais
si de tels phénomènes ont lieu dans la rue, c’est l’histoire qui
change. Au XXe siècle, on a vu que l’art n’avait pas de contenu, comme
la logique formelle, et que comme la logique formelle l’art essayait de
vendre son absence de contenu comme contenu. L’art est une forme de la
marchandise, rien de plus, la contre-révolution russe a achevé cette révélation, à son corps défendant.
Le
premier signe de ce déniaisement a été l’art abstrait, qui est
d’ailleurs essentiellement la peinture abstraite. C’est entre 1910 et
1920 qu’apparaissent les premières peintures de cette appellation. Les
premiers peintres abstraits sont Kandinsky, Malevitch et Mondrian. Leur
passage à l’abstrait, comme à travers un rideau de perles, s’est fait
sans concertation entre eux. L’irruption quasi simultanée de cette forme
nouvelle dans la peinture montre avant tout la présence d’un public
capable de la recevoir, et en attente d’une telle peinture.
La
peinture abstraite correspond à une définition simple : elle ne figure
pas d’objets. Encore, bien sûr, faut-il entendre « objet » dans le sens
trivial, puisque tout ce que figure une peinture est objet, qu’il
s’agisse d’une chose concrète ou pas. Ce que veulent ces peintres, dont
le nombre proliféra considérablement, c’est exprimer autre chose que ce
que nous connaissons par nos conventions visuelles. L’un voulait
exprimer le « je », l’autre voulait au contraire supprimer à la fois
l’objet et le « je », le troisième pensait peindre la sensibilité même.
Ces
trois peintres initiaux ont été « théoriciens ». Leur pensée commune
semble avoir été que l’objet – la chose concrète et identifiable –
devait être dépassé, et à ce moment-là cet objet devenait un obstacle à
l’expression de ce dont il n’était qu’une application. De sorte que la
chose concrète et identifiable n’était qu’apparence et émanation de ce
que les peintres abstraits voulaient montrer, au moins à leurs débuts.
Ensuite, leur « spiritualisme » (Kandinsky écrivit ‘Du spirituel dans
l’art’, Malevitch et Mondrian ont été des adhérents de la théosophie)
est aussi mis en exergue, sans doute pour agrandir la place qu’ils
donnèrent à cette recherche intérieure. Différents courants de pensée
n’ont pas manqué non plus de vouloir s’approprier cette nébuleuse. Les
phénoménologistes, par exemple, soutiennent qu’à l’origine de la
démarche de chacun de ces peintres il y a l’angoisse, cette même
angoisse dont Heidegger avait fait le creuset d’‘Etre et Temps’, et que
si les peintres abstraits n’étaient pas familiers de la phénoménologie,
ils procédaient de la même démarche mentale, de la même prégnance dans
le siècle.
Le terme d’abstraction est visiblement impropre pour décrire
cette tendance de la peinture. D’abord toute représentation peinte est
abstraite. Il n’y a justement rien de concret dans une image peinte,
sauf la peinture en tant que matière. Toute peinture est représentation,
est figuration. Qu’on veuille figurer une pomme, l’Annonciation, ou la
sensibilité en général, c’est toujours une représentation de l’objet,
voire de la chose. Quel que soit l’objet, geste, travail, réflexion, ou
même sensibilité abstraient de cet objet. Appeler « abstrait » ce qui
est non figuratif est donc une réduction de langage.
Si la Sorge
heideggerienne paraît une explication à la fois trop triviale et trop
abstraite pour expliquer la peinture abstraite, même augmentée du
réductionnisme de cette peinture qui peut se rapporter à la réduction
eidétique de Husserl, l’angoisse générée par la révolution russe semble
un levier beaucoup plus probable de cette nécessité d’exprimer une
spiritualité non critique ou même au service de la contre-révolution
bolchevique. Un autre parallélisme plus pertinent semble être
l’explosion simultanée des sciences. La récente poussée des
mathématiques dans l’idéologie dominante en particulier accompagne bien
la naissance de cette peinture, essentiellement géométrique. Mais la
disparition du figuratif trivial s’apparente surtout à la disparition de
la visibilité de ce qui est découvert en physique où, pour la première
fois, avec les quanta et avec la relativité, les ignares ne peuvent plus
observer à l’œil nu les terrains d’expérimentation qui expliquent leur
monde ; et ce qu’on a appelé le microscopique et le macroscopique ne
sont pas non plus visibles par les spécialistes, qui ont presque réussi à
hypostasier leurs déductions.
Très en vogue parmi les spécialistes,
l’art abstrait est resté englué dans sa progression au milieu des
dilettantes. Aussi peu ces peintres ont-ils réussi à dépasser le
tableau, comme certains d’entre eux se l’étaient promis, aussi peu cette
tendance de l’art n’a convaincu et gagné les ignares, qui ont depuis
accédé massivement à la culture. Devenue assez bizarrement l’expression
d’une volonté d’innover forcée, cette tendance a surtout manifesté la
grande pauvreté d’idée des artistes qui s’en réclamaient. Le bénéfice de
la nouveauté dans l’innovation formelle, en effet, semble avoir été
mangé très vite par la misère du contenu qu’elle mettait au jour. Le
« je » d’un Rembrandt, ou la sensibilité d’un Vermeer manifestent,
peut-être avec l’aide déloyale de choses convenues servant d’objet, une
richesse et une proximité bien plus grande que le « je » des
compositions de Kandinsky, ou la sensibilité de ‘Carré noir sur fond
blanc’ de Malevitch. Mais si les pauvres, dilettantes puis ignares, ont
mangé tout l’art qu’on leur a proposé pendant le XXe siècle, ils ont
mangé l’art abstrait comme la nourriture abstraite qu’on leur sert en
pilules qu’on appelle des compléments alimentaires : sans goût ni
saveur, en consommateurs gloutons et indifférents. Ainsi, l’art abstrait
a contribué, paradoxalement, à désillusionner sur ce qu’est l’art.
mercredi 28 septembre 2011
Misères de la Culture au XX° siècle
Récent, « culture » est devenu un gros mot au cours du XXe siècle. La culture est le débat dans le salon, où l’invitation filtre les participants, le faux débat en général, celui qui masque et qui empêche le véritable débat qui a lieu, pour sa part, dans la rue, où participe qui veut.
La culture est un phénomène indissociable de la marchandise. Comme cette dernière, elle est créée par l’humain, et comme la marchandise, la culture est fétichisée, autonomisée, hypostasiée, et elle se retourne contre l’humain comme une matière indépendante de lui qui médiatise les rapports entre émetteurs-récepteurs de pensée. La culture est par excellence un détail de l’aliénation rendu visible, à la fois chosification, extranéation, essence devenue autre.
C’est le discours que la culture attaque, déforme, soumet, falsifie. La culture est l’abstraction d’un discours vivant, une des mises en règles formelles des irruptions de pensée dans la communication, mais l’une de ses mises en règles en tant que généralité. La culture est un renoncement, une résignation de la parole à devenir vraie. La culture est un ersatz de réalisation, une représentation de formes de réalisation. C’est pourquoi la culture est sans but : ce sédiment gélatineux est un intermédiaire entre le discours et le refus du but, dans cette société, une voie de garage de projets de réalisation.
Comme le besoin d’habiller la résignation a prodigieusement augmenté dans ce siècle, la culture a gagné de si larges prérogatives, officieuses et officielles, qu’elle a beaucoup étendu son sens. Elle est maintenant une industrie de colonisation agressive du temps, essentiellement hors du travail, pour tous les pauvres. Le loisir, le « temps libre », gagné jadis par les pauvres, est devenu un « mal », interminable galerie marchande qui suinte de petites convoitises inassouvies. Non seulement les pauvres savent de moins en moins utiliser un temps non colonisé par la culture et le travail, mais ils prétendent de plus en plus à la culture. Car la fulgurance des carrières, la gloire des vedettes de la culture, retient encore dans sa naïveté la chimère du succès, de la réussite. Aussi, dans les Etats occidentaux au moins, la plupart des pauvres s’essayent à pratiquer la culture : ils écrivent, ils jouent de la musique, peignent, dansent, chantent, pratiquent toutes les contorsions qui sont censées amuser, détendre ou faire réfléchir leurs contemporains aux moments où ils ne travaillent pas ; et même le travail se veut désormais inscrit dans la culture, ce que revendiquent hautement les cultures d’entreprise, et les passe-temps culturels que les entreprises mettent à la disposition de leurs salariés.
Les pauvres aujourd’hui pratiquent la culture avec le syndrome sandiniste : chacun a l’impression de manifester là un génie exclusif, tout comme la guérilla nicaraguayenne, qui était ouvertement soutenue dans le monde entier, avait l’impression d’être toute petite, toute seule, immensément courageuse dans un vaste monde entièrement hostile. Mais les pauvres dans la culture manifestent seulement, dans l’illusion de leur pratique et de leur excellence, le retard de leur connaissance du monde. Une exclusivité du pratiquant actif de la culture était encore vraie en 1900. En 2011, la culture est devenue la muselière de la middleclass, alors que ses membres croient être des artistes, des savants, des théoriciens. Leurs pauvres discours qui s’admirent sont enlisés dans leur perte d’histoire, si bien qu’ils ne savent même pas comment la culture, à laquelle ils s’abandonnent avec des ferveurs vaporeuses et des délices de commande, est l’expression de leur misère.
En 1900, on en était encore à se demander si la culture était plutôt la somme des connaissances d’un individu ou quelque connaissance collective, si le terme s’opposait ou se superposait avec civilisation. L’art était alors la plus haute expression de la culture. Il la datait, la couronnait, lui donnait son esthétique, son image et son style, et lui apportait sa nouveauté. Avec l’art, la culture avait annexé une façon de parler qui avait appartenu aux princes, et que les princes avaient déléguée à des artisans, tout comme ils avaient délégué leur gestion à des maires de palais. Cette façon de parler qu’était l’art était celle du monologue public, du discours sans réplique, qui impose et qui représente.
Après la chute des princes, les maires de palais ont pris le palais et les artisans ont pris l’art. Dans le siècle qui sépare la révolution française et la révolution russe, la culture, et en particulier l’art ont beaucoup servi. Soumise à la loi du progrès constant, cette fausse communication s’était étalée en s’usant. Mais la bourgeoisie était un réceptacle collectif et une pompe à phynance d’une ampleur et d’une puissance bien plus grande que celles des princes. Et la révolution française avait, à travers le sourd grognement gueux, exprimé dans la rue combien il était nécessaire de renforcer le débat dans le salon. De sorte que la culture au XIXe siècle est comme la marchandise dans les siècles précédents : elle se libère de ses propriétaires et représente une forme d’aliénation du débat qui trouve dans l’individualisation de l’art son expression collective.
La poussée d’aliénation de la révolution française est le mieux visible sans doute dans la poussée démographique qui a commencé peu après. D’autres formes de cette poussée ont été concomitantes. La colonisation par l’Occident s’est alors accompagnée d’une colonisation par la culture. Non qu’une « culture occidentale » ait été imposée partout, mais c’est le concept même de culture qui a été imposé partout. Qu’il y ait désormais une « culture » chinoise, zoulou ou maya ne signifie rien d’autre que, en Chine, en Afrique du Sud et en Amérique centrale, on ne discutera plus de la totalité autrement qu’en Occident : dans le salon, pas dans la rue.
Libellés :
art,
culture,
extension du domaine de la chute,
séparation,
SILVERADO SOCIAL PATROL,
vanguard
dimanche 25 septembre 2011
Hacia una crítica de la razón sacrificial: Necropolítica y estética radical en México
FUENTE: Mariana Botey
1
En el momento en que Georges Bataille escribió sus últimas colaboraciones para la revista Documents (1928-1931), planteó una serie de conceptualizaciones críticas que desplazaron a los surrealistas disidentes hacia un proyecto teórico definido como un ataque directo al sistema-estructura epistemológico con el que la modernidad europea se planteaba como el paradigma de la Civilización.(1) Ese cambio crítico implicó para Bataille apartarse del arte. Era como si de alguna manera Documents hubiese desmantelado la construcción misma del arte para revelar su carácter burgués neurótico, bajo la sospecha de que el arte seguía siendo servil a su antigua función catártica de estabilizar las energías sociales y psíquicas peligrosas, en una operación que era normativa e ideológica al grado de ocuparse de encontrar un sistema atenuante de transposiciones simbólicas.
La conclusión de Documents —y el encontrar una articulación posterior, primero con Contre-Attaque, después con Acéphale y, finalmente, con la creación del Colegio de sociología— supuso un paso importante en el proceso de diferenciación de la escenificación del Surrealismo etnográfico (o los surrealistas disidentes). Hubo un cambio significativo en el registro del grupo, ya que éste se reorientó para enfatizar la práctica teórica, que al tomar un giro discursivo intensificó la dimensión performativa (política-discursiva) de su práctica. El Colegio se formó bajo un signo conspirativo: el programa tomó la forma de un proyecto en busca de una sociología sagrada, y su agenda se perfiló como una re-activación militante de la dimensión cancelada de lo sagrado.(2) El territorio ocluido de lo sagrado que debía ser escarbado estaba marcado por una estructura de recurrencia y compulsión que actuaba activando el campo social en relación a una serie de términos clave como muerte, mutilación, violencia y sacrificio. El grupo alrededor de Georges Bataille se involucró en una especie de contra-clasificación: postulaba un catálogo de acciones y residuos culturales que tenían el poder de liberar elementos heterogéneos y romper con la aparente homogeneidad del sujeto. En un gesto extremista, lo que estaba en juego era la reactivación de una memoria diferida o reprimida por medio de la cual era posible regresar a un espacio anterior al sujeto. Se trataba de un experimento de de-subjetivización. Esa conceptualización crítica se caracterizaba por un rechazo radical de todas las formas del Idealismo: la formulación del programa de un materialismo bajo y una contra-metodología agrupada bajo el concepto de heterología. Ella apuntaba toda a llevar a cabo el trabajo teórico hacia un proceso sistemático (máquina) de de-sublimación de la modernidad.
Tanto el Materialismo bajo como la Heterología funcionaban gracias a la reinscripción estratégica de los ejemplos históricos que perturbaban la lógica de la producción racional (la razón instrumental) al iluminar una lógica radicalmente otra activando las fuerzas en juego en la modernidad. Entre esos referentes, la idea de México y sus raíces y cultura indígenas constituyó un imaginario recurrente. De hecho el constructo o Idea de México funcionaba como receptáculo simbólico-alegórico de revuelta y revolución a través de los dos campos fundamentales del Surrealismo. Pues del otro lado de la conjuración batailleana, la conexión André Breton-Diego Rivera ejemplifica la implementación de prácticas de vanguardia desde México, situándolo como un entrecruce en el mapa internacional de las conexiones entre las confrontaciones políticas y culturales más importantes del período de la entre guerra: como la formación y expansión del Comintern, las políticas culturales del Frente Popular y el principio de la Segunda Guerra Mundial.
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En el momento en que Georges Bataille escribió sus últimas colaboraciones para la revista Documents (1928-1931), planteó una serie de conceptualizaciones críticas que desplazaron a los surrealistas disidentes hacia un proyecto teórico definido como un ataque directo al sistema-estructura epistemológico con el que la modernidad europea se planteaba como el paradigma de la Civilización.(1) Ese cambio crítico implicó para Bataille apartarse del arte. Era como si de alguna manera Documents hubiese desmantelado la construcción misma del arte para revelar su carácter burgués neurótico, bajo la sospecha de que el arte seguía siendo servil a su antigua función catártica de estabilizar las energías sociales y psíquicas peligrosas, en una operación que era normativa e ideológica al grado de ocuparse de encontrar un sistema atenuante de transposiciones simbólicas.
La conclusión de Documents —y el encontrar una articulación posterior, primero con Contre-Attaque, después con Acéphale y, finalmente, con la creación del Colegio de sociología— supuso un paso importante en el proceso de diferenciación de la escenificación del Surrealismo etnográfico (o los surrealistas disidentes). Hubo un cambio significativo en el registro del grupo, ya que éste se reorientó para enfatizar la práctica teórica, que al tomar un giro discursivo intensificó la dimensión performativa (política-discursiva) de su práctica. El Colegio se formó bajo un signo conspirativo: el programa tomó la forma de un proyecto en busca de una sociología sagrada, y su agenda se perfiló como una re-activación militante de la dimensión cancelada de lo sagrado.(2) El territorio ocluido de lo sagrado que debía ser escarbado estaba marcado por una estructura de recurrencia y compulsión que actuaba activando el campo social en relación a una serie de términos clave como muerte, mutilación, violencia y sacrificio. El grupo alrededor de Georges Bataille se involucró en una especie de contra-clasificación: postulaba un catálogo de acciones y residuos culturales que tenían el poder de liberar elementos heterogéneos y romper con la aparente homogeneidad del sujeto. En un gesto extremista, lo que estaba en juego era la reactivación de una memoria diferida o reprimida por medio de la cual era posible regresar a un espacio anterior al sujeto. Se trataba de un experimento de de-subjetivización. Esa conceptualización crítica se caracterizaba por un rechazo radical de todas las formas del Idealismo: la formulación del programa de un materialismo bajo y una contra-metodología agrupada bajo el concepto de heterología. Ella apuntaba toda a llevar a cabo el trabajo teórico hacia un proceso sistemático (máquina) de de-sublimación de la modernidad.
Tanto el Materialismo bajo como la Heterología funcionaban gracias a la reinscripción estratégica de los ejemplos históricos que perturbaban la lógica de la producción racional (la razón instrumental) al iluminar una lógica radicalmente otra activando las fuerzas en juego en la modernidad. Entre esos referentes, la idea de México y sus raíces y cultura indígenas constituyó un imaginario recurrente. De hecho el constructo o Idea de México funcionaba como receptáculo simbólico-alegórico de revuelta y revolución a través de los dos campos fundamentales del Surrealismo. Pues del otro lado de la conjuración batailleana, la conexión André Breton-Diego Rivera ejemplifica la implementación de prácticas de vanguardia desde México, situándolo como un entrecruce en el mapa internacional de las conexiones entre las confrontaciones políticas y culturales más importantes del período de la entre guerra: como la formación y expansión del Comintern, las políticas culturales del Frente Popular y el principio de la Segunda Guerra Mundial.
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