La vie comme culture.
Parce qu'au delà de ce qu'il cultive, du produit qu'il prend de la terre, le paysan "sait" que ce qu'il cultive c'est d'abord la vie. Voilà ce que nous avons oublié, oblitéré par le principe de mort du profit.
Critique de la culture.
La contradiction immanente, entre le pessimisme culturel de la bourgeoisie cultivée et l’optimisme culturel postmoderne-technologique, constitue en réalité les deux faces de la même médaille. Le culte de la superficialité et le culte du sentiment intime sont complémentaires. Des deux côtés, on dénie l’approbation, dépourvue de tout contenu, de la condition capitaliste de la culture. Pour comprendre ce qui les lie, la vieille analyse d’Adorno et d’Horkheimer, en dépit de son déficit politique et économique, procure toujours davantage d’éléments que ne le prétend la gauche pop, qui elle-même, entre temps, a bien vieilli. Et même, elle est valable pour comprendre la mutation de l’Intenet devenu "réalisation grinçante du rêve wagnérien d’une oeuvre d’art totale", surtout depuis l’„interactivité“ technologique du web 2.0.
Les modes d'accomplissement de la vie ne sont plus intégrés au projet général d'une culture qui les prennent eux-mêmes pour but. Mais subordonnés à cette saleté de principe du profit, ils s'inscrivent dans la culture qui va avec, d'extinction de la vie, d'involution des affects. C'est de cette culture de mort que vient le besoin de soin, de réparation: pour une culture qui serve la vie, qui redevienne un savoir de la vie, et non un adjuvant à la circulation des marchandises, un stimulateur à débouchés -délire improbable d'un capitalisme en fin de cycle. Encore faut-il que le soin ne soit pas une prolongation du moribond mais sa subversion, de la "grande santé" nietzschéenne.
Nietzsche contre Wagner. Ou la vérité du mystère comme poison éternel contre la transparence totalitaire.
"La performance et la barbarie sont si étroitement mêlés dans la culture que seule une ascèse barbare à l’encontre de la culture et de ses matrices permet d’entrevoir l’autre face du monde. "
Inakomyliachtchi
Inakomyliachtchi
"L’esthétique – comme dimension du symbolique devenue à la fois arme et théâtre de la guerre économique – substitue le conditionnement des hypermasses à l’expérience sensible des individus psychiques ou sociaux. L’hypersynchronisation conduit à la perte d’individuation par l’homogénéisation des passés individuels, en ruinant le narcissisme primordial et le processus d’individuation psychique et collective : ce qui permettait la distinction du je et du nous, désormais confondus dans l’infirmité symbolique d’un on amorphe."
Bernard Stiegler
Bernard Stiegler
"Maintenant l’homme normal sait que sa conscience devait s’ouvrir à ce qui l’avait le plus violemment révolté :
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille
ce qui, le plus violemment, nous révolte, est en nous."
Georges Bataille
« Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout. »
Guy DEBORD
Guy DEBORD
«Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?»
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.
« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP
Lettre du curé Jean Meslier à Claude-Adrien Helvétius, 11 mai 1671.
« Nous supposons également que l’art ne peut pas être compris au travers de l’intellect, mais qu’il est ressenti au travers d’une émotion présentant quelque analogie avec la foi religieuse ou l’attraction sexuelle – un écho esthétique. Le goût donne un sentiment sensuel, pas une émotion esthétique. Le goût présuppose un spectateur autoritaire qui impose ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, et traduit en « beau » et « laid » ce qu’il ressent comme plaisant ou déplaisant. De manière complètement différente, la « victime » de l’écho esthétique est dans une position comparable à celle d’un homme amoureux, ou d’un croyant, qui rejette spontanément les exigences de son ego et qui, désormais sans appui, se soumet à une contrainte agréable et mystérieuse. En exerçant son goût, il adopte une attitude d’autorité ; alors que touché par la révélation esthétique, le même homme, sur un mode quasi extatique, devient réceptif et humble. »
Marcel DUCHAMP
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mercredi 21 mars 2012
La culture comme pharmakon
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samedi 29 octobre 2011
FENÊTRE D'OPPORTUNITÉ (SITUATION DE TRANSHUMANCE)
Il
faut mettre les “collaborateurs” du Système
devant leurs responsabilités, et les nécessités
de sauvegarde ; leur faire prendre conscience qu’il est temps qu’ils se
précipitent pour prendre leurs cartes de résistants, comme
faisaient les collabos habiles, devenus à l’été 1944 résistants de la
25ème heure. Il faut
qu’ils en arrivent eux-mêmes, – d’abord par
opportunisme, puis par intérêt, puis par conviction, – à suspecter le
Système, à l’accuser, à le bousculer, à le condamner, à le vouer aux
gémonies.
mardi 25 octobre 2011
« " Salut les artistes ! Tant pis si je me trompe " ou la normalisation de l'art. Souvenirs de l'école d'art », par Anselm Jappe
Anselm Jappe est l'auteur de plusieurs ouvrages portant sur une théorie critique renouvelée de la société capitaliste-marchande, la critique de la valeur, et notamment de « Guy Debord. Essai » (Denoël), « Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur » (Denoël), et dernièrement « Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques » (Lignes 2011).

samedi 1 octobre 2011
Misères de la Culture. Surréalité
La différence principale entre dada et le surréalisme est l’époque. Dada a lieu au moment de la vague principale de la révolution russe, et exprime cet assaut contre la société, même si c’est avec un levier un peu long ; le surréalisme exprime bien aussi son époque, mais c’est celle du repli, mêlé aux fastes et à l’exubérance du soulagement de la conservation.
André Breton et les autres dadaïstes en rupture qui ont fondé le mouvement surréaliste entre 1922 et 1924 semblent d’abord avoir voulu instaurer un territoire à la pensée non consciente, c’est-à-dire abandonner le piratage dadaïste de la pensée pour établir un royaume aux corsaires de l’inconscient. Dans cette vision des choses, la réalité est le donné, le monde objectif celui des choses en dur, le monde du concret que cerne avec précision la logique. Les associations d’idées, l’écriture automatique, le hasard et les coïncidences font pénétrer dans le monde qui, pour les surréalistes, est au-delà de cette « réalité » et qu’ils appellent « surréalité ». Il s’agissait, par rapport à dada, de prendre cette surréalité au sérieux : ne pas se contenter de la pratiquer, mais vouloir aussi l’explorer, la comprendre, et en propager un usage.
Mais vouloir explorer, comprendre, propager un usage de ce qui est au-delà de la conscience, ne peut se faire d’abord qu’au profit de la conscience. C’est l’autre différence fondamentale des surréalistes par rapport à dada : si le négatif reste présent et fortement revendiqué, c’est désormais au nom d’un positif, d’une position que s’établit ce polder conquis par la conscience des artistes sur une mer plus nourricière qu’hostile. Le surréalisme est la volonté d’aménager le territoire de l’inconscient, sans mettre en cause la conception dominante de la réalité. Cet inconscient est traité comme une partie minoritaire de la pensée, lointaine province fabuleuse et luxuriante, mais, un peu à la manière d’un front de libération, les surréalistes revendiquent surtout sa reconnaissance et son indépendance dans le monde de la conscience. Dans la démarche initiale de cette exploration, le surréalisme n’a reculé que devant l’absolu, où se retrouvait en effet la marque d’un déisme trop proche. Mais entre la réalité et l’absolu, comme indigène primitif qui détient une vérité admirable, le surréalisme a toujours revendiqué la suprématie du poète. Comme si les associations troublantes des poètes pouvaient compenser leur manque de discernement ! Comme si Lautréamont ne pouvait pas être vu comme ennuyeux et péremptoire ! Comme si la poésie n’était pas le troisième marché de l’infini, après la religion et les sciences !
L’absolu rencontré lors de cette recherche a été le point de retour des surréalistes : leur territoire d’investigation, dès lors, s’est trouvé limité d’un côté par l’ennui de la réalité comme donné, et de l’autre par l’absolu comme mirage déiste. L’exploration de l’inconscient signifiait désormais ne plus partir de la conscience qu’encordé. On interroge plutôt qu’on ne découvre. La tentative de décryptage devenait une activité de colonisation, par la conscience, des vastes territoires découverts. Dès lors que les découvertes récentes de la psychanalyse étaient validées par Breton, qui fustige même ceux qui se contentent de pratiquer la dérive dans l’inconscient sans en retirer la signification, l’administration de l’esprit trouve sa police. La psychanalyse, qui a concédé l’inconscient, et en a fait son fonds de commerce, l’a cependant restreint à l’individu. De sorte que l’inconscient, avec ce corps de doctrine, devient une simple base arrière de la conscience, même si, aussi bien du côté des psychanalystes que des surréalistes, le pressentiment de l’immensité de cette pensée sans contrôle a percé. Cette individualisation de l’inconscient a également été endossée par les surréalistes, très loin de l’anonymat, sauf lorsque Breton présente leur pratique comme une mise en commun de la pensée.
Il faut aussi mettre au crédit des surréalistes que leur repli dans la psychanalyse de l’inconscient leur a permis de mettre en avant des conceptions autrement offensives que celles des disciples de Freud. Il ne s’agit pas de soigner, mais de transcender ; il ne s’agit pas de sublimer, mais de réaliser. Les surréalistes ont en particulier érigé le désir en catégorie centrale de leur réflexion et de leur expression, bien au-delà de la triste « libido » de Freud. Et il faut aussi, rendre hommage à André Breton en particulier, et aux surréalistes en général, pour avoir tenté, contre leur époque et la nôtre, de remettre l’amour dans le débat. Malheureusement, cette mise en lumière a dérapé dans la poésie et donc une certaine forme de descriptif indiscutable par essence, idéalisé, sublimé et stérile. Mais l’inspiration et l’intuition – elles-mêmes examinées et discutées en tant que phénomènes – que l’amour est une passerelle autrement instructive et palpitante vers l’au-delà de la conscience que l’enfance ou la folie sont venues à contre-courant de la dévaluation du terme amour, depuis le libertinage autosatisfait jusqu’à l’amour de pacotille du petit-bourgeois, en passant par l’amour filial, l’amour de Dieu et l’amour de son chien.
Dès la défaite des gueux en Russie, les surréalistes se sont proclamés en accord avec le marxisme. C’est le projet de « changer la vie », formulé par Rimbaud, qui semble avoir initié ce ralliement au parti du prolétariat, dont c’était l’une des perspectives affichées. Si les principaux surréalistes ont alors adhéré au parti léniniste, le mouvement surréaliste est toujours resté jaloux de son indépendance. Le Parti, d’ailleurs, s’est montré plus soupçonneux encore de cet allié, ouvertement individualiste, anticonformiste, amoral par principe, critique, et aux antipodes de la culture prolétarienne dessinée par la lourde paluche de quelques fonctionnaires « réalistes ». La longue suite de malentendus, entre le parti marxiste et le mouvement surréaliste, s’exprime à travers les exclusions successives, de part et d’autre ; celle d’Aragon, en 1932, quittant le mouvement surréaliste pour se soumettre aux directives étroites du parti bolchevique, résume le mieux leur distance et leur incompréhension réciproques. Il semble surtout que les surréalistes se soient mépris sur la fonction historique du marxisme, idéologie de la contre-révolution, et que les marxistes aient craint d’avoir à combattre dada là où il n’y avait plus que le surréalisme, c’est-à-dire un mouvement qui traçait des territoires dans cette société, plutôt que contre elle : l’inconscient peuplé de poésie, l’avant-garde de la culture, avaient leur place dans l’extinction du débat de la rue.
Contrairement à dada, dont le champ d’intervention n’était limité que par l’origine et les terrains de prédilection de ses membres, celui des surréalistes s’est clairement défini comme étant la culture, et l’art. Sans doute, les surréalistes pensaient que la culture et l’art tenaient la clé de l’unité de l’homme, et de tous les autres domaines d’activité ; mais ils n’en sont pas moins restés des spécialistes d’un secteur d’activité. C’est en tant que tels qu’ils se sont confrontés au monde, comme en témoignent leurs rapports avec la psychanalyse et les marxistes ; puis dans le rejet des dilettantes qui les approuvent. Mais comme le monde se divisant en spécialités n’a pas vu, dans la première moitié du XXe siècle, la culture comme la clé de l’unité de l’homme, les surréalistes ont toujours été perçus, par les autres spécialités qu’ils ont approchées, comme des fantaisistes, un peu vains, un peu désordonnés, outrés mais sans effectivité, sauf celle de la célébrité médiatique et donc de l’engouement des dilettantes, puis, dans la seconde moitié du siècle, des ignares.
Breton a introduit dans le mouvement surréaliste les techniques de rupture du marxisme. Le surréalisme s’est donc présenté, par rapport à dada, avec une cohésion beaucoup plus grande, qui sans doute l’a maintenu en vie plus longtemps. Mais la lente usure de ce mouvement, qui a mal vieilli au point de devenir un étendard propret de cette société combattue, montre au moins que la rupture, même pratiquée avec l’honnêteté de Breton, n’est pas une garantie de jeunesse. Car les compromissions ont bien sûr dominé le surréalisme. De l’aliénation en fusion chez dada, le surréalisme est une coulée qui se refroidit. Breton témoigne bien de quel côté de la barricade il a glissé, quand il sollicite une rencontre avec Freud juste avant de fonder le surréalisme, et avec Trotski, vingt ans plus tard. La rigueur du négatif chez les surréalistes n’est que l’opposition, dans le salon, d’une minime fraction contre toutes les autres, mais d’une fraction qui porte les oripeaux encore déchirés de la révolte vaincue, et qui à ce titre apparaît comme porte-parole de la nouveauté, effraie, et rallie finalement à travers ses « œuvres » l’ensemble de la modernité servile.
Le symptôme de cette dégénérescence, qui est le raccourci de ce qu’a été ce mouvement, peut être vu dans le ‘Second Manifeste du surréalisme’ de 1929, lorsque Breton, dans un éclair de lucidité qui ressemble si fort à toutes les pratiques de l’irrationnel qu’il recommande énergiquement, entrevoit la nécessité de l’anonymat : « Je demande l’occultation profonde, véritable du surréalisme. » Hélas, quelle sincérité accorder à cette « demande » ? Pourquoi, déjà, demander ? Et à qui ? Les premiers à devoir pratiquer cette retraite hors de la visibilité semblent devoir être les surréalistes eux-mêmes. Leur incapacité à quitter leur métier, à abdiquer la publicité contrôlée par l’ennemi, à occulter la « surréalité », ne s’est pas démentie, et il n’y eut pas de suite autre que les phrases du même manifeste qui ne sont donc que des phrases, au sens du bon sens populaire : « Je proclame, en cette matière, le droit à l’absolue sévérité. Pas de concessions au monde et pas de grâce. Le terrible marché en main. »
Le territoire de cette surréalité n’a pas survécu : effrité, retourné, découpé en parcelles et vendu en autant d’œuvres, il n’a pas été étendu, alors même que l’esprit, qu’il se proposait d’investiguer, s’étendait sans mesure. Pratiquer l’aliénation, comme dada, a échoué devant la résignation à se cantonner au salon, et la domestiquer, comme l’ont tenté les surréalistes, a simplement transformé en champ de la conscience une partie principale de cette terra nova qu’ils ont effleurée. Sans doute, l’art abstrait, dada et les surréalistes ont agrandi d’une puissante poussée le monde de la culture et ont contribué à lui gagner de l’importance, alors même qu’il devient le filet de protection sur le temps hors du travail pour la majorité des pauvres modernes d’Occident. Mais cette zone annexée est restée annexe, et le projet surréaliste, en particulier, a été oublié, dévalué en un phénomène de mode, cristallisé dans quelques « œuvres », c’est-à-dire dans quelques marchandises. Ainsi, l’enclos qui entourait déjà la culture en 1900 a eu raison de ces tentatives d’évasion dans l’esprit du demi-siècle suivant. Les tentatives avortées des artistes, pour orienter le débat vers l’aliénation, se sont donc retournées, puisque, du fait de leur inanité, elles ont plutôt contribué à épuiser, pendant un temps qui est le nôtre, ce débat.
« Le dadaïsme a voulu supprimer l’art sans le réaliser ; et le surréalisme a voulu réaliser l’art sans le supprimer. La position critique élaborée depuis par les situationnistes a montré que la suppression et la réalisation de l’art sont les aspects inséparables d’un même dépassement de l’art », comme l’a écrit Debord (42), n’est donc pas exact pour plusieurs raisons. D’abord, le dadaïsme n’a pas voulu supprimer l’art : au contraire, le mouvement était divisé entre la conservation et la continuation de l’art, et une volonté, non de supprimer au sens dialectique du terme, mais d’anéantir, ce qui au sens téléologique veut justement dire : réaliser ; mais comme dada a seulement effleuré ce qui méritait d’être critiqué, et soulevé de multiples critiques possibles, il est même abusif de prétendre que dada aurait anéanti, ou voulu anéantir, une abstraction comme l’art. S’il est vrai que le surréalisme, ensuite, n’a pas voulu supprimer l’art, il ne semble pas non plus avoir voulu le réaliser ; les surréalistes ont bien davantage tenté de réduire l’art à un moyen pour explorer et étendre le territoire séparé de leur surréalité. Les surréalistes ont voulu transformer la fonction de l’art, pour lui permettre d’être l’unité rêvée de la connaissance et de la vie. Enfin, la position critique élaborée par les situationnistes n’a nullement contribué au dépassement de l’art. L’art est une marchandise dans un contexte donné, et ne se dépasse qu’avec la marchandise en entier, ce qui est peut-être contenu dans la position critique situationniste ; mais il n’y a nul besoin, pour « dépasser » cette marchandise, de la supprimer, au sens dialectique, ou de la réaliser : il suffit de l’anéantir, ce qui, malheureusement, n’est pas prévu dans la dialectique hégélienne, marxiste et situationniste, où chaque chose se conserve, le « dépassement » au sens « Aufheben » servant justement à cette conservation.
dimanche 10 juillet 2011
SITUATION DE TRANSHUMANCE
JE VAIS BOIRE DURANT QUELQUES JOURS, ME TAIRE DURANT QUELQUES SEMAINES,
ET LES ATHÉNIENS S'ATTEIGNÈRENT.
IL ESTTERRIBLELE PETIT BRUIT DE L' OEUF DUR
CASSÉ SUR LE COMPTOIR D'ÉTAT.
vendredi 24 juin 2011
LA CRISE DES CLASSES MOYENNES ET LE DÉLABREMENT DE LEURS CONDITIONS DE PRODUCTION COMME ACTEURS DU SPECTACLE DE LA MARCHANDISE
Tandis qu’une fraction du décile supérieur des classes moyennes saute dans l’illusion du TGV de l’hyper-classe, les déciles inférieurs sont, les uns après les autres, déclassés. Selon les particularités de son groupe, chacun constate, pour lui–même ou pour son voisin, que ses stratégies d’ascension sont périmées et que, même à courir davantage, lui-même et ses enfants ne feront que descendre. Le capitalisme a produit les classes moyennes comme machines à consommer et à rêver : en les détruisant, il s’unifie. Les classes moyennes savent que le rêve est brisé, elles devinent la tricherie, mais ne perçoivent pas encore qui la met en scène. A l’Est comme à l’Ouest, le spectacle fut construit par la volonté délibérée d’occulter les rapports de classes réels. A l’Ouest, à côté des propriétaires, des entrepreneurs et des prolétaires vint s’ajouter pour la répartition du surplus une classe sociale invisible articulée autour d’un nouveau rapport social, celui de la redistribution (welfare). La redistribution fut utilisée comme variable d’ajustement au « besoin de consommation » exigé par la reproduction du capital. Cette forme tranquillisante de dispositif anti-émeute instituait une forme nouvelle de servitude volontaire. Depuis cinquante ans pour le moins, notre passivité, jusque dans la dénonciation superficielle du « trop de spectacle », nous rend assurément complices de cette gestion que pourtant nous savons mortifère. Le « flower power », le « new age », le « néopaganisme » et maintenant la « sobriété volontaire » préparent au changement du style d’animation. Voici le temps où les tireurs de ficelles sont forcés de modifier les attaches : le pouvoir d’achat c’est fini, aspirons aux relations. Aussi, pour le bref instant d’une situation qu’il s’agit de saisir ici sur ce blog historique, les tireurs de ficelles se montrent à leurs marionnettes.
samedi 14 mai 2011
SITUATION DE TRANSHUMANCE (moi-moi entre parenthèses)
Moi, système capitaliste (1% de la population, plus leurs complices directs 10 à 15%), du haut de ma puissance, j'accapare et je possède le vain et l'illusoire. Toi, le reste de la population, dépourvu de puissance, tu est le "tube digestif" sommé de consommer, des choses aussi vaines et illusoires, reflets de ma propre puissance et organiser en tant que tels.
Et pour que t'ai pas l'idée de te régir par d'autres codes que les miens, je ferai passer sur toi au quotidien le bulldozer du marketing pour qu'il "t'informe", la culture, les modes de vie, le rapport social, l'acceptation de ce qui est (la fermeture de tes horizons) et la crainte concomitante de perdre ce qui t'écrase...enfin le Spectacle dans toute sa splendeur.
samedi 2 avril 2011
ARTISTES, ENCORE UN EFFORT POUR ETRE "VRAIMENT" PROFESSIONNEL!
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lundi 6 décembre 2010
« U.S. to Send Visual Artists as Cultural Ambassadors »
Des nouvelles sur le front de la diplomatie culturelle (on ne parle plus seulement ici de « public diplomacy ») des États-Unis d’Amérique.
Après l’envoi de danseurs et de musiciens en tournée dans le monde, c’est au tour des peintres et des sculpteurs d’être enrôlés sous la bannière de l’Oncle Sam pour suggérer que l’Amérique d’Obama ne se résume pas à Hollywood, aux grandes chaînes commerciales ou à l’agressivité guerrière, indique un article récent du New York Times(http://www.nytimes.com/2010/10/26/arts/design/26friends.html?_r=1) !
L’effort, il est vrai, est modeste, avec un programme pilote intitulé smART Power d’un montant d’un million de dollars prévu pour une durée de deux ans, sous l’égide du Bronx Museum of the Arts pour la sélection des artistes (http://www.bronxmuseum.org). Un choix un peu surprenant, mais qui peut s’expliquer par le programme d’accueil d’artistes en résidence conduit par le musée (http://hyperallergic.com/11540/bronx-museum-us-artists-abroad).
Les artistes seront invités à intervenir dans une quinzaine de pays (Chine, Équateur, Égypte, Ghana, Inde, Kosovo, Liban, Népal, Nigeria, Pakistan, Philippines, Kenya, Sri Lanka, Turquie, Venezuela) selon des formes à déterminer par chacun d’entre eux sous le contrôle du département d’État (http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2010/10/149944.htm).
Pour ce dernier :
« The smARTpower exchange is the Department’s first major initiative to send visual artists and their work beyond museum walls to work with youth and the local community. The program will use art’s unique ability to bridge differences and create new lines of communication that bring people and cultures together. smARTpower directly ties to Secretary of State Hillary Rodham Clinton’s “smart power” approach to foreign diplomacy, utilizing a variety of tools to work towards achieving our foreign policy objectives. »
Sur les nouvelles orientations de la diplomatie états-unienne, on pourra se référer à l’article suivant de Jacques Charmelot : http://www.robert-schuman.eu/doc/questions_europe/qe-127-fr.pdf.
Sur les évolutions de la diplomatie culturelle des États-Unis d’Amérique, entre autres, voir également L’arme de la culture, les stratégies de la diplomatie culturelle non gouvernementale (http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=23941), un ouvrage collectif dont voici le sommaire(http://www.espacestemps.net/document5483.html).
Première partie : échanges internationaux et mondialisation
- Le tourneur et la diplomatie, Alain Dubosclard
- Diplomatie culturelle et impératifs muséologiques, Aude Albigès
- Les passeurs de la culture, Brigitte Rémer
Deuxième partie : politique et idéologie
- Deux capitales diplomates : Budapest et Prague, Catherine Horel
- Les enjeux diplomatiques du festival de Salzbourg, Amélie Charnay
- La CIA et le MoMA, Georges Armaos
- Paysage après le 11 septembre, Jeanne Bouhey
Troisième partie : industries culturelles et stratégies
- Le rôle diplomatique informel des institutions culturelles, Fabrice Serodes
- Le festival de cinéma, Xavier Carpentier-Tanguy et Véronique Charléty
- Le musée Guggenheim, entre économie et diplomatie ?, Jean-Michel Tobelem
mercredi 17 novembre 2010
« Gentrification » : une notion importée… et importune (1)
SOURCE>>Agone (la chronique de Jean-Pierre Garnier)
- Le développement de la « petite bourgeoisie intellectuelle » correspond à sa fonction historique : concourir à la reproduction des rapports de domination en tant que classe préposée aux tâches de médiation, entre celles de direction et d’exécution.
L’installation de nouveaux résidents bien pourvus en capital scolaire et aux revenus confortables dans certains anciens quartiers populaires localisés dans les parties centrales des agglomérations aux dépens de leurs habitants antérieurs qui s’en trouvent, de ce fait, chassés, a déjà donné lieu à une ample littérature à vocation plus ou moins scientifique.
Pour désigner cette colonisation progressive – mais non progressiste [1] –, de certains espaces urbains souvent dégradés mais toujours bien situés, un terme érigé en concept a été importé d’Angleterre : « gentrification ». Il avait été forgé en 1963 par la sociologue marxiste Ruth Glass dans un rapport sur les transformations socio-spatiales de quelques quartiers ouvriers londoniens. On peut néanmoins se demander si ce néologisme est bien adéquat à ce qu’il est supposé désigner, et si, au lieu de contribuer à clarifier les déterminants et la logique de classe des transformations socio-spatiales en cause, il ne contribue pas à entretenir la confusion.
Compte tenu de l’engagement politique de sa promotrice initiale, la notion de « gentrification » ne peut-être soupçonnée de relever de cette novlangue qui, dans le domaine de la recherche urbaine comme ailleurs, sert à masquer tout en le glorifiant l’avènement d’un capitalisme devenu sans frontières – aussi bien spatiales que sociales. Mais, en la faisant dériver du terme « gentry », signifiant « petite noblesse terrienne », puis, sur le mode ironique, la « bonne société », autrement dit les milieux bourgeois, souvent brocardés dans la littérature de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, Ruth Glass a conduit les chercheurs qui se sont inspirés de ses travaux à se méprendre sur l’appartenance de classe de ceux que certains sociologues, en France, n’ont pas hésité à qualifier sans rire de « gentrifieurs ».
Évidemment, il a bien fallu, malgré tout, sous nos cieux, donner un contenu sociologique aux soi-disant « gentrificateurs » sans recourir à des vocables étrangers. Ou, à défaut, en les traduisant en français, quand cela était faisable. D’où un salmigondis d’appellations plus ou moins incontrôlées : « couches moyennes et supérieures », « salariés de la société de services » , « hypercadres de la mondialisation », « élites urbaines circulantes et globalisées », « classe créative »… Tout cela pour ne pas appeler les choses, et les gens, en l’occurrence, par leur nom : « petite bourgeoisie intellectuelle ». Une (dé)nomination qui – compte tenu de la conjoncture politico-idéologique actuelle en Europe, et en France, en particulier, où un néo-conservatisme paré des plumes d’une radicalité « post-moderne » décourage l’analyse matérialiste de la réalité sociale – ne peut que faire pousser des cris d’orfraies dans le monde académique. Sans reprendre ici le détail une démonstration déjà effectuée ailleurs [2], on en résumera les grandes lignes.
Dans la lutte des classes qui se poursuivait sous le capitalisme, Marx en distinguait deux principales, comme chacun sait, dont l’affrontement constituait, selon lui et ceux qui le suivront, le « moteur de l’histoire » : la bourgeoisie et le prolétariat. Mais il n’oubliait pas pour autant les fractions de classes issues de la petite production marchande en déclin (paysans, artisans, commerçants), ni les professions dites libérales (avocats, notaires, médecins, etc.). Ni non plus une catégorie dont les effectifs avaient déjà cru avec le développement de l’État-nation constitué (en France, en Angleterre, et.) ou en voie de constitution (Allemagne) : la bureaucratie. Le tout était regroupé sous une appellation un peu fourre-tout, il faut le reconnaître : la « petite bourgeoisie ». Par-delà les différences relevées par lui entre ces différentes fractions, Marx s’était autorisé à les rapprocher à partir d’une place et d’un état d’esprit communs : subalterne pour l’une et étroit pour l’autre, le second découlant largement de la première. Autrement dit, la petite bourgeoisie était une classe liée et subordonnée à la bourgeoisie – avec des accès de révolte contre cette dernière, parfois, due à sa situation contradictoire de classe intermédiaire –, sans en partager la largeur de vues, aussi relative que soit celle-ci, puisqu’elle n’avait pas vocation à devenir classe dominante.
Sur le plan idéologique, les « petits bourgeois » communiaient avec les « grands » dans l’idéalisme et le moralisme, mais avec des vues plus étriquées conformes à l’univers borné où ils avaient à agir et à penser. D’où la connotation stigmatisante accolée depuis lors à l’expression « petit bourgeois [3] », que renforce par la suite son usage critique et quelque peu inflationniste dans les milieux littéraires et artistiques épris d’anticonformisme. Le dramaturge marxiste Bertolt Brecht, par exemple, dans sa pièce Noce chez les petits bourgeois, dresse de ceux-ci un portait peu avantageux, mettant en évidence la médiocrité de leurs ambitions et leur propension à s’illusionner sur eux-mêmes. Peut-être peut-on discerner là l’une des raisons, même si ce n’est pas la plus importante, de la réticence, pour ne pas parler de refus pur et simple, de la part de l’intelligentsia de gauche française « recentrée » à accorder la moindre pertinence scientifique au concept de « petite bourgeoisie intellectuelle » pour définir sa propre appartenance de classe, ainsi que les pratiques et les représentations qui vont avec. Pour elle, ce concept n’est qu’une « étiquette » grossière et infâmante relevant d’un « marxisme simpliste et réducteur ».
Néanmoins, si le capitalisme contemporain n’est plus ce qu’il était à l’époque où Marx glosait sur la petite bourgeoisie et se gaussait d’elle, il n’en demeure pas moins que, loin de disparaître avec le développement de ce mode de production, ce troisième larron de l’Histoire, si l’on peut dire, calé entre bourgeoisie et prolétariat, a, au cours des décennies précédentes, pris une importance et joué un rôle croissants dans la reproduction des rapports de production en tant que relais de la domination. Ses composantes, bien sûr, ne sont plus aujourd’hui tout à fait les mêmes que dans le deuxième tiers du XIXe siècle. Pour les analyser, on peut adopter, comme point de départ, le critère proposé par les marxistes « dissidents » regroupés dans les années 1950-1960 autour de la revue Socialisme et Barbarie. À leurs yeux le clivage fondamental exploiteurs/exploités, jugé trop « économiciste », devait être articulé à un autre, qu’il ne remplaçait pas mais complétait : celui qui oppose dirigeants et dirigés.
C’est ainsi que, dans la division capitaliste du travail, il convient de distinguer les tâches de direction, accomplies par une bourgeoisie qui peut être aussi bien « privée » que « publique », c’est-à-dire étatique – Pierre Bourdieu parlait de « noblesse d’État » –, et les tâches d’exécution, affectées à un prolétariat ouvrier ou employé, division qui ne peut se maintenir et perdurer sans le concours d’une classe préposée aux tâches de médiation : la petite bourgeoisie intellectuelle. Très diverses, ces tâches peuvent être classées sous quatre rubriques : conception, organisation, contrôle et inculcation idéologique. Elles relèvent aussi bien du secteur public que secteur privé. Au sein même de la classe néo-petite bourgeoise, il existe une stratification entre des franges supérieures, moyennes et inférieures selon la hiérarchie propre à chaque secteur d’activités. Celles qui se sont développées au cours des dernières décennies correspondent, d’une part, aux branches les plus dynamiques du capitalisme « post-industriel » (informatique, finance, « info-com », c’est-à-dire publicité et propagande, etc.) ; et d’autre part, celles qui contribuent au bien-être de la population tout en l’encadrant (santé, éducation, culture, loisirs, etc.). Notons que certaines tâches de médiation peuvent être cumulées. Par exemple, un enseignant-chercheur conçoit et inculque ; un fonctionnaire territorial organise et contrôle. De même, pour chacun des types de tâches de médiation, nombre de néo-petits bourgeois peuvent se retrouver dans une double position. Un travailleur social, par exemple, est à la fois contrôleur et contrôlé. S’il est « éducateur de rue », il peut, s’il suit un stage de perfectionnement, être à son tour éduqué. Un ingénieur, préposé à l’« innovation » donc à la conception, peut, si ses compétences sont sollicitées dans le « management », c’est-à-dire la gestion de l’exploitation, exercer une fonction d’organisateur.
Par ailleurs, des glissements peuvent avoir lieu, dans l’ordre hiérarchique, d’une frange de la petite bourgeoisie intellectuelle à l’autre en fonction des promotions… ou du déclassement. Ce dernier terme doit être pris dans son sens fort : la dégradation du statut (la dévalorisation des diplômes), le blocage des salaires, l’insécurité de l’emploi peuvent menacer certaines franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle de prolétarisation, processus accéléré, dans le secteur public, par les politiques néo-libérales de privatisation (officielle ou rampante).
Si, pour les raisons indiquées, le terme de « gentrification » apparaît discutable sur le plan théorique (et politique), il a tout de même le mérite d’éviter l’amalgame erroné que pouvait entraîner, dans l’analyse des « mutations urbaines [4] », le mot français « embourgeoisement ». Car, la conversion d’un ancien quartier populaire en quartier « branché » sous l’effet conjugué de la dynamique de marché et des politiques publiques n’est pas le fait d’une fraction de la bourgeoisie – même si les constructeurs, les promoteurs et, derrière eux, les groupes bancaires et les holdings financiers y prennent part… et leur part – retranchée plus que jamais dans les « beaux quartiers » traditionnels ou dans les banlieues qu’on appelle « résidentielles » pour rappeler le caractère hypersélectif de l’habitat où elle demeure. Aussi dispendieux soit-il, l’hédonisme consumériste de la petite bourgeoisie intellectuelle n’autorise pas à classer ce groupe parmi la bourgeoisie proprement dite, dans la mesure où, contrairement aux assertions superficielles de chercheurs à courte vue, ce n’est pas le niveau de revenus ou la quantité de patrimoine qui définit celle-ci, ni même son capital culturel, mais sa place dans les rapports sociaux de production : celle de classe dominante.
Les nouveaux habitants qui ont entrepris de s’approprier certains secteurs urbains où vivait une population majoritairement composée d’ouvriers et d’employés – auxquels on peut ajouter les petits commerçants et artisans qui subvenaient aux besoins des précédents – appartiennent pour la plupart à une petite bourgeoisie intellectuelle très diplômée occupant des emplois hautement qualifiés dans la « nouvelle économie » fondée sur l’information, la communication et la création. Ses membres exercent leur activité professionnelle dans les banques et les assurances, les médias et la publicité, mais ils peuvent être également artistes, psychanalystes ou enseignants du supérieur. Ce groupe très composite dispose d’un pouvoir d’achat élevé qui lui permet de consommer « autrement » que les « bourgeois » traditionnels, mais à des coûts souvent presque aussi prohibitifs, que ce soit en matière d’habillement, d’alimentation, de loisirs, d’ameublement ou, bien sûr, de logement. Promues à longueur de pages « culturelles » par la presse de marché, les pseudo-transgressions et autres « œuvres dérangeantes » dont cette catégorie privilégiée fait son miel participent d’une autre forme de conformité conservatrice en phase avec l’esthétisation du mode de vie qui lui permet de se distinguer du commun.
——
Jean-Pierre Garnier a publié aux éditions Agone : Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l'effacement des classes populaires (2010).
[2] On se permet de signaler : Le Socialisme à visage urbain, co-écrit avec Denis Golschmidt (Rupture, 1977), La Deuxième Droite (Robert Laffont, 1987) et La Pensée aveugle. Quand les intellectuels ont des visions (Spengler, 1995), coécrits avec Louis Janover ; et notre dernier ouvrage, Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des couches populaires(Agone, 2010).
[3] Karl Marx n’avait pas arrangé les choses en remplaçant dans certains de ses écrits le terme français « petit » par le qualificatif anglais « petty » [insignifiant, mineur, mesquin], plus disqualifiant encore.
[4] Emprunté à la biologie, le concept de « mutation » a pour effet, sinon pour finalité, de naturaliser l’évolution en cours du mode de spatialisation capitaliste. Avec ses connotations de « changement » et de « modernisation », elle contribue aussi à le valoriser. Couramment employée par les sociologues, anthropologues, géographes, politologues et certains philosophes, elle permet aussi d’attester – philosophie mise à part – le caractère scientifique de leurs disciplines.
Compte tenu de l’engagement politique de sa promotrice initiale, la notion de « gentrification » ne peut-être soupçonnée de relever de cette novlangue qui, dans le domaine de la recherche urbaine comme ailleurs, sert à masquer tout en le glorifiant l’avènement d’un capitalisme devenu sans frontières – aussi bien spatiales que sociales. Mais, en la faisant dériver du terme « gentry », signifiant « petite noblesse terrienne », puis, sur le mode ironique, la « bonne société », autrement dit les milieux bourgeois, souvent brocardés dans la littérature de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, Ruth Glass a conduit les chercheurs qui se sont inspirés de ses travaux à se méprendre sur l’appartenance de classe de ceux que certains sociologues, en France, n’ont pas hésité à qualifier sans rire de « gentrifieurs ».
Évidemment, il a bien fallu, malgré tout, sous nos cieux, donner un contenu sociologique aux soi-disant « gentrificateurs » sans recourir à des vocables étrangers. Ou, à défaut, en les traduisant en français, quand cela était faisable. D’où un salmigondis d’appellations plus ou moins incontrôlées : « couches moyennes et supérieures », « salariés de la société de services » , « hypercadres de la mondialisation », « élites urbaines circulantes et globalisées », « classe créative »… Tout cela pour ne pas appeler les choses, et les gens, en l’occurrence, par leur nom : « petite bourgeoisie intellectuelle ». Une (dé)nomination qui – compte tenu de la conjoncture politico-idéologique actuelle en Europe, et en France, en particulier, où un néo-conservatisme paré des plumes d’une radicalité « post-moderne » décourage l’analyse matérialiste de la réalité sociale – ne peut que faire pousser des cris d’orfraies dans le monde académique. Sans reprendre ici le détail une démonstration déjà effectuée ailleurs [2], on en résumera les grandes lignes.
Dans la lutte des classes qui se poursuivait sous le capitalisme, Marx en distinguait deux principales, comme chacun sait, dont l’affrontement constituait, selon lui et ceux qui le suivront, le « moteur de l’histoire » : la bourgeoisie et le prolétariat. Mais il n’oubliait pas pour autant les fractions de classes issues de la petite production marchande en déclin (paysans, artisans, commerçants), ni les professions dites libérales (avocats, notaires, médecins, etc.). Ni non plus une catégorie dont les effectifs avaient déjà cru avec le développement de l’État-nation constitué (en France, en Angleterre, et.) ou en voie de constitution (Allemagne) : la bureaucratie. Le tout était regroupé sous une appellation un peu fourre-tout, il faut le reconnaître : la « petite bourgeoisie ». Par-delà les différences relevées par lui entre ces différentes fractions, Marx s’était autorisé à les rapprocher à partir d’une place et d’un état d’esprit communs : subalterne pour l’une et étroit pour l’autre, le second découlant largement de la première. Autrement dit, la petite bourgeoisie était une classe liée et subordonnée à la bourgeoisie – avec des accès de révolte contre cette dernière, parfois, due à sa situation contradictoire de classe intermédiaire –, sans en partager la largeur de vues, aussi relative que soit celle-ci, puisqu’elle n’avait pas vocation à devenir classe dominante.
Sur le plan idéologique, les « petits bourgeois » communiaient avec les « grands » dans l’idéalisme et le moralisme, mais avec des vues plus étriquées conformes à l’univers borné où ils avaient à agir et à penser. D’où la connotation stigmatisante accolée depuis lors à l’expression « petit bourgeois [3] », que renforce par la suite son usage critique et quelque peu inflationniste dans les milieux littéraires et artistiques épris d’anticonformisme. Le dramaturge marxiste Bertolt Brecht, par exemple, dans sa pièce Noce chez les petits bourgeois, dresse de ceux-ci un portait peu avantageux, mettant en évidence la médiocrité de leurs ambitions et leur propension à s’illusionner sur eux-mêmes. Peut-être peut-on discerner là l’une des raisons, même si ce n’est pas la plus importante, de la réticence, pour ne pas parler de refus pur et simple, de la part de l’intelligentsia de gauche française « recentrée » à accorder la moindre pertinence scientifique au concept de « petite bourgeoisie intellectuelle » pour définir sa propre appartenance de classe, ainsi que les pratiques et les représentations qui vont avec. Pour elle, ce concept n’est qu’une « étiquette » grossière et infâmante relevant d’un « marxisme simpliste et réducteur ».
Néanmoins, si le capitalisme contemporain n’est plus ce qu’il était à l’époque où Marx glosait sur la petite bourgeoisie et se gaussait d’elle, il n’en demeure pas moins que, loin de disparaître avec le développement de ce mode de production, ce troisième larron de l’Histoire, si l’on peut dire, calé entre bourgeoisie et prolétariat, a, au cours des décennies précédentes, pris une importance et joué un rôle croissants dans la reproduction des rapports de production en tant que relais de la domination. Ses composantes, bien sûr, ne sont plus aujourd’hui tout à fait les mêmes que dans le deuxième tiers du XIXe siècle. Pour les analyser, on peut adopter, comme point de départ, le critère proposé par les marxistes « dissidents » regroupés dans les années 1950-1960 autour de la revue Socialisme et Barbarie. À leurs yeux le clivage fondamental exploiteurs/exploités, jugé trop « économiciste », devait être articulé à un autre, qu’il ne remplaçait pas mais complétait : celui qui oppose dirigeants et dirigés.
C’est ainsi que, dans la division capitaliste du travail, il convient de distinguer les tâches de direction, accomplies par une bourgeoisie qui peut être aussi bien « privée » que « publique », c’est-à-dire étatique – Pierre Bourdieu parlait de « noblesse d’État » –, et les tâches d’exécution, affectées à un prolétariat ouvrier ou employé, division qui ne peut se maintenir et perdurer sans le concours d’une classe préposée aux tâches de médiation : la petite bourgeoisie intellectuelle. Très diverses, ces tâches peuvent être classées sous quatre rubriques : conception, organisation, contrôle et inculcation idéologique. Elles relèvent aussi bien du secteur public que secteur privé. Au sein même de la classe néo-petite bourgeoise, il existe une stratification entre des franges supérieures, moyennes et inférieures selon la hiérarchie propre à chaque secteur d’activités. Celles qui se sont développées au cours des dernières décennies correspondent, d’une part, aux branches les plus dynamiques du capitalisme « post-industriel » (informatique, finance, « info-com », c’est-à-dire publicité et propagande, etc.) ; et d’autre part, celles qui contribuent au bien-être de la population tout en l’encadrant (santé, éducation, culture, loisirs, etc.). Notons que certaines tâches de médiation peuvent être cumulées. Par exemple, un enseignant-chercheur conçoit et inculque ; un fonctionnaire territorial organise et contrôle. De même, pour chacun des types de tâches de médiation, nombre de néo-petits bourgeois peuvent se retrouver dans une double position. Un travailleur social, par exemple, est à la fois contrôleur et contrôlé. S’il est « éducateur de rue », il peut, s’il suit un stage de perfectionnement, être à son tour éduqué. Un ingénieur, préposé à l’« innovation » donc à la conception, peut, si ses compétences sont sollicitées dans le « management », c’est-à-dire la gestion de l’exploitation, exercer une fonction d’organisateur.
Par ailleurs, des glissements peuvent avoir lieu, dans l’ordre hiérarchique, d’une frange de la petite bourgeoisie intellectuelle à l’autre en fonction des promotions… ou du déclassement. Ce dernier terme doit être pris dans son sens fort : la dégradation du statut (la dévalorisation des diplômes), le blocage des salaires, l’insécurité de l’emploi peuvent menacer certaines franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle de prolétarisation, processus accéléré, dans le secteur public, par les politiques néo-libérales de privatisation (officielle ou rampante).
Si, pour les raisons indiquées, le terme de « gentrification » apparaît discutable sur le plan théorique (et politique), il a tout de même le mérite d’éviter l’amalgame erroné que pouvait entraîner, dans l’analyse des « mutations urbaines [4] », le mot français « embourgeoisement ». Car, la conversion d’un ancien quartier populaire en quartier « branché » sous l’effet conjugué de la dynamique de marché et des politiques publiques n’est pas le fait d’une fraction de la bourgeoisie – même si les constructeurs, les promoteurs et, derrière eux, les groupes bancaires et les holdings financiers y prennent part… et leur part – retranchée plus que jamais dans les « beaux quartiers » traditionnels ou dans les banlieues qu’on appelle « résidentielles » pour rappeler le caractère hypersélectif de l’habitat où elle demeure. Aussi dispendieux soit-il, l’hédonisme consumériste de la petite bourgeoisie intellectuelle n’autorise pas à classer ce groupe parmi la bourgeoisie proprement dite, dans la mesure où, contrairement aux assertions superficielles de chercheurs à courte vue, ce n’est pas le niveau de revenus ou la quantité de patrimoine qui définit celle-ci, ni même son capital culturel, mais sa place dans les rapports sociaux de production : celle de classe dominante.
Les nouveaux habitants qui ont entrepris de s’approprier certains secteurs urbains où vivait une population majoritairement composée d’ouvriers et d’employés – auxquels on peut ajouter les petits commerçants et artisans qui subvenaient aux besoins des précédents – appartiennent pour la plupart à une petite bourgeoisie intellectuelle très diplômée occupant des emplois hautement qualifiés dans la « nouvelle économie » fondée sur l’information, la communication et la création. Ses membres exercent leur activité professionnelle dans les banques et les assurances, les médias et la publicité, mais ils peuvent être également artistes, psychanalystes ou enseignants du supérieur. Ce groupe très composite dispose d’un pouvoir d’achat élevé qui lui permet de consommer « autrement » que les « bourgeois » traditionnels, mais à des coûts souvent presque aussi prohibitifs, que ce soit en matière d’habillement, d’alimentation, de loisirs, d’ameublement ou, bien sûr, de logement. Promues à longueur de pages « culturelles » par la presse de marché, les pseudo-transgressions et autres « œuvres dérangeantes » dont cette catégorie privilégiée fait son miel participent d’une autre forme de conformité conservatrice en phase avec l’esthétisation du mode de vie qui lui permet de se distinguer du commun.
Jean-Pierre Garnier
[à suivre…]——
Jean-Pierre Garnier a publié aux éditions Agone : Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l'effacement des classes populaires (2010).
Notes
[1] Des experts invités par la très respectable Oxford Round Table, organisation basée aux États-Unis et censée promouvoir l’éducation et la culture à travers le monde, parlent même à ce propos du « nouveau colonialisme de l’ère moderne » ! (« The new colonialism in the modern era » Forum on Public Policy : A Journal of the Oxford Round Table, 22 juin 2008).[2] On se permet de signaler : Le Socialisme à visage urbain, co-écrit avec Denis Golschmidt (Rupture, 1977), La Deuxième Droite (Robert Laffont, 1987) et La Pensée aveugle. Quand les intellectuels ont des visions (Spengler, 1995), coécrits avec Louis Janover ; et notre dernier ouvrage, Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des couches populaires(Agone, 2010).
[3] Karl Marx n’avait pas arrangé les choses en remplaçant dans certains de ses écrits le terme français « petit » par le qualificatif anglais « petty » [insignifiant, mineur, mesquin], plus disqualifiant encore.
[4] Emprunté à la biologie, le concept de « mutation » a pour effet, sinon pour finalité, de naturaliser l’évolution en cours du mode de spatialisation capitaliste. Avec ses connotations de « changement » et de « modernisation », elle contribue aussi à le valoriser. Couramment employée par les sociologues, anthropologues, géographes, politologues et certains philosophes, elle permet aussi d’attester – philosophie mise à part – le caractère scientifique de leurs disciplines.
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