Depuis la Révolution française, la séparation entre la science, représentatrice de la nature et de son étude, et la société, représentatrice de l'homme et de sa culture, s'est accrue, en même temps que la notion de modernité prend corps et importance ; un lien établi par de nombreux chercheurs dont le sociologue français Bruno Latour, dans son célèbre ouvrage "Nous n'avons jamais été modernes". Il ne pouvait pas prévoir alors la crise financière, et sa remise en cause du système économique. Est-ce une remise en cause de notre modernité ?
Pour résumer brièvement les théories de Bruno Latour, nous tenterons de reprendre les arguments de son livre, sans volonté aucune de les réduire ou de les détourner, mais en essayant de s'en inspirer aussi fidèlement que possible. Bruno Latour définit la modernité comme la séparation progressive des notions et science et de nature d'une part, de société et de culture d'autre part, et fonde l'hypothèse que la modernité s'est imposée au XXe siècle (déjà avant) avec son officialisation dans la Constitution Moderne, qui explicitait cette séparation. Pourtant, il existerait deux phénomènes plus subversifs mais tout autant importants qui expliquerait cette modernité : l'hybridation et la purification.
Toujours selon Latour, l'hybridation est le croisement d'une partie des deux branches principales que sont la science et la société. Il s'agit d'une initiative pouvant se revendiquer tant d'un bout de sciences que d'un bout de société. Vous en connaissez beacoup ? Il n'y a que ça ! Rien n'est jamais vraiment tout l'un ou tout l'autre, n'est-ce pas ? Peut-on dire que le téléphone portable n'est que scientifique ? N'est-ce pas un mouvement de société ? Peut-on dire que la politique n'est pas une technique, une science qui pourrait s'étudier en dehors de tout contexte culturel ? Que représente alors l'Ecole des Sciences Politiques de Paris ? L'hybridation serait partout et aurait toujours existé, sans être vraiment jamais reconnu par la Constitution moderne.
La purification, au contraire, serait le travail fait pour catégoriser ces nouveaux hybrides plus vers l'une ou l'autre des branches, pour lui trouver un nouveau nom de classification, et la ranger toujours mieux. C'est le travail de critique, qui joue le jeu du discernement des racines, de la dissection des origines, pour mieux nommer, classer, et expliciter ce qui ne le sera jamais vraiment (explicité, dans son entier). Sans critique, pas de compréhension des mutations de la société, pas d'adaptation de cette dernière à ses propres modifications, pas d'évolution possible.
Le problème de la modernité, aujourd'hui, selon Latour, est que le travail des hybrides a pris trop d'importance, et qu'il ne peut plus être mis sous silence par la Constitution moderne. La distinction, entre science et société, perdrait trop de sa consistence pour devenir un amas de liens informels, d'expérimentations, de créations. Ne sentez-vous donc pas ce pessimisme ambiant de la société occidentale ? Ce pessimisme fut dénommé, il y a de ça déjà quelques années, le postmodernisme. Un sentiment que la modernité n'avait plus de promesses à tenir, et que le monde courait à sa perte (ou presque). Ce que suggère Bruno Latour dans ce passionnant ouvrage, c'est de faire éclater au grand jour l'existence des hybrides et de reconstruire notre constitution autour d'eux. Avec la crise financière et sa remise en cause du système économique, cet essai n'entre-t-il pas en résonance avec les attentes des générations d'aujourd'hui face à l'entreprise et au sens à donner au travail ?