C’est l’idée d’un acte fondateur, d’une « invention », qui trace une route qui finit par sembler évidente et « normale » alors que sa légitimité ne procède de rien d’autre que d’elle-même, voire d’un calcul du moindre effort. Ce peut être, très simplement, par exemple, un aïeul qui décide d’acquérir une maison de villégiature en haute Ariège en 1922. Conséquences : les enfants des trois générations suivantes y passeront leurs vacances d’été. Paul Coelho dans « Le Zahir » (Ed. Flammarion 2005) relevait que : « La distance qui sépare les rails de chemin de fer est de 143,5 centimètres. Pourquoi cette dimension absurde ? Parce qu’au début de la construction des premiers wagons de chemin de fer, on a utilisé les mêmes outils que ceux dont on se servait pour la construction des voitures. Pourquoi cette distance entre les roues des voitures ? Parce que les anciennes routes avaient été faites pour cette dimension, et que les voitures n’auraient pas pu circuler si elles avaient été plus larges. Qui a décidé que les routes devaient être faites à cette dimension ? Nous voilà revenus dans un passé très lointain: les Romains, premiers grands constructeurs de routes, en ont décidé ainsi. Pour quelle raison? Les chars de guerre étaient conduits par deux chevaux ; et quand on met côte à côte les animaux de la race dont ils se servaient à l’époque, ils occupent 143,5 centimètres. Ainsi, la distance entre les rails de chemin de fer utilisés par notre très moderne train à grande vitesse a été déterminée par les Romains. Quand les immigrants sont partis aux États-Unis construire des voies ferrées, ils ne se sont pas demandé s’il valait mieux modifier leur largeur et ils ont conservé le même modèle. Cela a même influencé la construction des navettes spatiales: des ingénieurs américains estimaient que les réservoirs de combustible auraient dû être plus larges, mais ils étaient fabriqués dans l’Utah, ils devaient être transportés par train jusqu’au Centre spatial en Floride. Conclusion: ils ont dû se résigner à la décision que les Romains avaient arrêtée concernant la dimension idéale ».
Jean-François Billeter en cite un autre exemple : « Jean-Michel Rey a récemment mis en évidence le rôle extraordinaire que cet apôtre [Paul] a joué dans toute l’histoire de la pensée européenne jusqu’à nos jours. C’est lui qui a eu l’idée de faire de la mort et de la résurrection de Jésus, ou plutôt du Christ, un évènement absolu divisant l’histoire en un avant et un après. Il a fait de l’avant, c’est-à-dire de l’histoire du peuple juif, la préhistoire de cet évènement absolu, son annonce chiffrée. Cette captation de l’héritage juif au profit du christianisme naissant a créé entre les deux religions un problème insoluble. Et l’idée d’un évènement absolu qui manifeste une vérité inscrite de tout temps dans l’histoire a fourni la matrice de pratiquement tous les programmes révolutionnaires ultérieurs, messianiques puis purement politiques, pour le meilleur et surtout pour le pire. Elle est au cœur de la pensée de Hegel et de Marx, puis de l’imaginaire révolutionnaire contemporain. Cet exemple montre à merveille le pouvoir de l’imagination. Une fois qu’une invention s’est emparée des esprits, rien ne semble pouvoir arrêter le déploiement de ses conséquences. Le seul moyen d’y mettre fin est de remonter au point de départ et de montrer, précisément, l’invention ».
Ainsi, chaque fois que nous assistons à un évènement révolutionnaire nous éprouvons une sympathie que nous ressentons comme instinctuelle alors qu’elle est d’abord l’expression d’un schéma culturel (on dirait une narrative aujourd’hui) qui a pris naissance il y a plus de 2000 ans.
Ainsi, chaque fois que nous assistons à un évènement révolutionnaire nous éprouvons une sympathie que nous ressentons comme instinctuelle alors qu’elle est d’abord l’expression d’un schéma culturel (on dirait une narrative aujourd’hui) qui a pris naissance il y a plus de 2000 ans.
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