L'un des pans les plus importants de la défunte pensée critique tenait certainement à ce que l'on pouvait désigner comme l'analyse idéologique de la culture, ou la critique des oeuvres d'art menée au nom d'une pensée qui savait y voir l'expression inavouée des valeurs dominantes qu'elle contestait. Depuis La Sainte Famille de Marx et Engels (1845) jusqu'aux Mythologies de Roland Barthes (1957), en passant par les nombreuses analyses d'un Antonio Gramsci, la liste est longue qui dit la nécessité, pour comprendre une époque d'en analyser les représentations culturelles et d'en déjouer les significations idéologiques.
Cependant, avec la post-modernité, c'est le triomphe d'une culture intégrale qui s'observe, et qui tend à interdire toute extériorité tant critique qu'artistique pour mieux régner.
Et l'art lui-même se mue en étiquette que l'on colle à tout ce que l'on souhaite préserver à jamais de tout jugement de fond, intouchable, incritiquable et comme gagné par l'évidence de ce qui va de soi (et ne saurait donc être remis en question).

Et pour illustrer le propos voici un nouvel exemple de l’esprit psychorigide de ceux qui font pourtant profession d'y échapper. Avril 2010, au musée d’art moderne de New York, une rétrospective Marina Abramovic reprend l’une de ses anciennes performance. Il s’agit de placer des personnages nus dans les salles de l’expo et notamment deux, vis-à-vis, empêchant presque l’accès des visiteurs. Pour entrer, les visiteurs doivent se faufiler entre les deux performeurs à poil, et donc s’y frotter. L’idée est stupide, vide de sens, elle a énormément vieilli en quarante ans, mais admettons. L’artiste met donc le clampin moyen en situation de devoir toucher un corps inconnu dévêtu, en pensant faire œuvre d’art. Sauf que l’un des clampins a dit « chiche » : il a peloté un dépoilé, lui palpant une miche en lui demandant si ça lui plaisait. Immédiatement, l’iconoclaste a été non seulement viré du musée, mais également révoqué à vie, bien qu’il fût adhérent du Moma depuis trente ans ! C’est qu’on ne plaisante pas avec les plaisantins ! On a le droit d'être touché par une œuvre mais pas l'inverse!
Il y a cependant quelque chose de pathétique à voir que, de l’ancien monde qu’ils ont voulu dépasser par leurs audaces, les artistes contemporains n’auront finalement conservé que le bon vieil esprit répressif , quoi qu’ils affirment par ailleurs à coups de happenings, de scarifications en public ou de chorégraphie bouchère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire